586 HISTOIRE DE VENISE. toutes les deux, et lesVénitiens venaient de perdre presque toute leur armée. Mais l’activité de Gaston ne pouvait rien sur les événements préparés par la politique. Le roi d’Angleterre, déterminé par les instances du pape, venait d’accéder à la sainte-union, et de congédier l’ambassadeur de France (1). Ce nouvel ennemi était d’autant plus à craindre, que le roi, pour porter toutes ses forces en Italie, n’avait gardé que deux cents gendarmes sur la frontière septentrionale de son royaume. De tous les alliés de la France, il ne lui restait que • le duc de Ferrare, qui avait besoin de protection, et l’empereur, qui mettait sa fidélité à un prix qui la rendait suspecte (2). II demandait que les affaires de Bologne et de Ferrare fussent remises à sa décision. II voulaitétre l’arbitre entre les deux conciles, et déjà il avait fait déclarer, par les évêques allemands, l’assemblée de Pise schismatique. Il faisait notifier au roi qu’il ne pouvait consentir à voir les Français étendre leurs conquêtes eu Italie; et en même temps, il exigeait que la France lui garantît tout ce qui lui avait été promis par le traité'de Cambrai. Ce n’était pas tout; il lui fallait un gage de la fidélité du roi, et ce gage devait êlre la jeune princesse dont la reine était accouchée deux ans auparavant, qu’il voulait qu’on lui envoyât, pour être mariée, quand il en serait temps, avec Charles d’Autriche. Il prétendait enfin que, dès à présent, on lui remit aussi la dot de la jeune princesse, et que cette dot fût la Bourgogne. De pareilles propositions décelaient l’envie d’être (1) « Le roy (de France) est adverty que le roi d’Angleterre a tenu une journée à ceste chandeleuse, avec les princes et grants seigneurs d’Angleterre, et que à ¡celle journée avoit conclut l’entreprise contre France, et que dcsja ledit roy d’Angleterre avoit fait toutes ses préparations de guerre et avoit assemblé bien 25,000 hommes prêts à monter en mer, et, qu’il les voulait faire descendre à Calais. L’on est demi désespéré de par deçà et en aussi grant crainte que jamais l’on feusl. » (Dépêche de Jean le Veau, secrétaire de l’ambassade d’Autriche. (Recueil des lettreS de Louis XII, t. III, p. 149.) (2) «Vous pouvez dire à madame (Marguerite d’Autriche) que par deçà l’on se doubte fort que l’empereur n’ait fait banqueroute du cousté de France; combien ils ne fassent du bon compagnon, car pour tout vray, ainsi que plusieurs d’icy ont lettres, l’empereur a envoyé à Venise le comte de Carpi, pour faire appoinctement avec les Veni-ciens, et ce à la persuasion du pape et du roy d’Arragon, et dit l’on plus que M. de Gurca (l’évêque de Gurce), y doit aller et desja est prins son logis audict Venise à S. Paul. S’il est ainsy les choses iront de terrible sorte, et si l’empereur n’est trompé, le roi de France a fricassée sa duché de Milan, car l’empereur luy avoit tourné le dos, aussi fera toute l’Italie, qui desja a perdu le couraige. Vous sçavez qu’il ayme argent: quant est de par deçà l’on ne luy en présente point, pourquoy ego dubito que la chose n’aviegne refusé, et l’impatience de se voir dégagé de l’alliance de la France. Le pape furieux (3) et le roi d’Arragon continuaient leurs efforts pour l’en détacher. Ils surent tirer parti, pour la cause commune, des désastres que lesVénitiens venaient d’éprouver, en déterminant la république à accepter une trêve de dix mois avec l’empereur. Elle se résigna à lui payer une somme de cinquante mille florins, et à lui laisser la possession provisoire de tout ce qu’il occupait, c’est-à-dire de Gradisca, de Vicence et do Vérone. XVII. Maximilien fit notifier cette trêve au roi (4). Il n’y avait pas moyen de se méprendre sur la conduite ultérieure d’un tel allié. Louis XII envoya sur-le-champ à son armée l’ordre de se porter dans la llomagne, et de poursuivre à outrance l’armée de la sainte-union. Ce nom inspirait cependant encore quelques scrupules. Pour les lever, on imagina de convertir cette guerre de rois en une guerre de prêtres. Chacun des deux partis'voulut s’appuyer des intérêts de la religion. Le concile, seul allié qui restât à la France, autorisa formellement Gaston à conquérir les terres de l’Église, pour les tenir en dépôt, et envoya un légat à l’armée. Gaston et ses gendarmes ne furent plus que les soldats du concile. Le cardinal de Saint-Severin parut dans leur camp, la cuirasse sur le dos; et ces mêmes lieux, qui avaient vu si souvent les aigles combattre les aigles, virent marcher la croix contre la croix (1S512). Une nouvelle maladie, qui avertissait Jules de sa vieillesse, et l’obligation de laisser le commandement au général espagnol, ne lui permettaient plus ainsy que l’on présume icy. » (Dépêche de Jean le Veau, secrétaire d’André de Burgo, ambassadeur de Maximilien en France. Recueil des lettres de Louis XII, 1.111, p. 104.) « L’empereur demande tout plain de choses au roi, et sans icelles à grand peine le pourra induire à faire ce pourquoy il (l’ambassadeur) est allé devers luy, ne le garder de faire son proufit ailleurs, tant devers le pape que les Veni-ciens. » ilbid. p. 107.) (3) « Après que le pape eut entendu la prinse de Bresse par les Vénissiens, il fit faire à Bome la plus grande démonstration de joie du monde, fit sonner les cloches, faire feux de joie et plusieurs autres triomphes : et depuis qu’il eut entendu que ses gens et les Espagnols s’estoient partis de devant Boulogne, il en fut si desplaisant que merveilles, et incontinent fit escrire une forte et furieuse lettre au vice-roy de Naples, capitaine desdits Espagnols, qu’ils deussent subitement retourner audit Boulogne, et que pour rien au monde ne s’en partissent; et oultre plus quand il eut nouvelle de la reprinse de Bresse par les François et de l’occisiou qu'ils avoient faicle des Vénitiens, cuidit désespéroit de rage, et dit-on qu’il se tiroit la barbe par despit. » (Dépêche de Jean le Veau, secrétaire de l’ambassade autrichienne. Recueil des lettres de Louis XII, t. III, p. 187.) (4; On peut la voir dans I eRecueildes lettres de louis XII, t. III, p. 217,