3áG HISTOIRE DE VENISE. condaire de l’ambition des Vénitiens. Depuis qu’ils étaient devenus puissance territoriale en Italie, ils dirigeaient toutes leurs pensées, toute leur politique, sur les moyens de s’agrandir. La ruine de leurs voisins était l’objet qu’ils avaient le plus constamment suivi; leurs intrigues et leurs armes avaient fait disparaître la famille de la Scala qui régnait à Vérone, puis les Carrare, seigneurs de Padoue. Les princes do Ravenne et de Ferrare s’étaient vu dépouiller d’une partie de leurs États. Le patriarche d’Aquilée avait perdu avec le Frioul toute sa puissance temporelle, et la maison de Visconti avait été chassée du duché de Milan, après en avoir cédé la moitié à la république. Les Sforce, qui avaient succédé aux Visconti, étaient devenus l’objet de son inimitié actuelle. C’était contre les Sforce qu’on invectivait dans les conseils, et qu’on intriguait auprès des gouvernements étrangers (1301). On avait à reprocher à Louis Sforce, qui dans ce moment était en possession du trône, d’avoir attiré sur l’Italie le fléau d’une armée française ; et, quoiqu’il eût contribué à l’en chasser, on ne lui pardonnait pas d’avoir accoutumé le plus puissant roi de l’Europe à s’entremêler dans les affaires de la Péninsule. Mais le mal était fait, les Français avaient appris le chemin de l’Italie; ils avaient conçu une haute idée de leur supériorité. Leurs revers, qu’ils attribuaient avec raison à l’imprévoyance de leur gouvernement, étaient pour eux un motif d’y revenir, et il était facile de prévoir que désormais là où on ne voudrait pas les avoir pour ennemis, il faudrait les accepter pour arbitres. Les Vénitiens avaient pris trop de soin de donner de justes inquiétudes à Louis Sforce, pour pouvoir douter de son empressement à réclamer contre eux (1) Il causait avec lui, en lui faisant réciter, ou plutôt sous prétexte de lui faire réciter ses prières. Le jeune monarque lui témoigna quelque désir de secouer le joug de sa sœur ainée. I.’évêque en avertit le duc d'Orléans ; et la fuite du roi, et par conséquent la disgrâce de madame de Beaujeu étaient résolues, lorsqu’elle en fut avertie. (Loisirs d’un ministre d’ütat, par le marquis de Pacimï.) Au reste, ce fait est rapporté par toits les historiens, même par Garnier. Voici le passage de St.-Gelais : « Et est tout vray que en ce temps là ledict Charles <\ict plusieurs fois à messire George dWmhoise, qui disoit ses heures avec luy, qu’il mandast à mon dict seigneur (d’Orléans) qu’il poursuivit son entreprise et qu’il vouloit estre avec luy. » (Hisl. de Louis XII.) (2) Je suis loin de contester que Louis XII ait conçu une passion violente pour la duchesse de Bretagne; mais je ne puis la Baire remonter aussi haut que le veulent Brantôme, Garnier, Gaillard, et tous les écrivains qui ont fait de cette passion le sujet d’un roman. Suivant Gaillard, la passion de Louis XII et d’Anne s’était irritée par les obstacles; et, en acceptant la main de Charles VIII, la princesse s’était immolée aux intérêts de sou amant et de son pays. l’appui de la France. De là la nécessité de le prévenir dans cette alliance , tant il est vrai que les leçons de l’expérience sont presque toujours perdues, parce que les hommes consultent leurs passions plutôt que leurs intérêts. Ce qui frappe le plus dans les événements que nous allons avoir à retracer, ce n’est pas la mobilité de la fortune, c’est celle des hommes : c’est de voir des politiques habiles, sages même, s’écarter des conseils d’une prudence ordinaire, embrasser des partis extrêmes dont ils ne pouvaient se dissimuler le danger, changer d’amis, d’ennemis et de vues, comme si cette versatilité n’eût été que de la dextérité, et au milieu des soins les plus vigilants, oublier leurs plus grands intérêts ou les commettre au hasard. Mais en général notre esprit est bien moins responsable de nos fautes que notre caractère. Presque toujours c’est aux passions des hommes qu’il faut avoir recours pour trouver l’explication de leurs erreurs. 111. Louis XII, qui venait de monter sur le trône de France, ne s’était pas montré, sous les deux règnes précédents, sujet soumis et prince désintéressé. Il se trouve presque toujours à la suite des princes mécontents quelques conseillers qui les encouragent, et les poussent fort loin, surtout quand ils parviennent à les dominer. Un évêque, attaché à celui-ci, trama, de l’aveu du prince, une conspiration pour se rendre maître de la personne de Charles VIII, encore mineur (1). La découverte de ce projetavait coùtéla libcrléà ce prélat, et le prince s’était réfugié à la cour du duc do Bretagne. Là, tandis qu’il se ménageait les moyens de se faire craindre de la cour de Charles, il avait conçu, disent les historiens (2), pour l’héritière de Bretagne Suivant Garsier, l’héritière de Bretagne avait été promises l'archiduc Maximilien. Alain d’Albret, surnommé le Grand, avait demandé que la main de la princesse fût la récompense du guerrier qui saurait le mieux la défendre. Enfin, le duc d’Orléans, s’étant mis sur les rangs, avait éclipsé tous ses rivaux. Premier prince du sang, héritier du trône, .cousin-germain du duc, il possédait de plus l’heureux don de plaire, et il captiva bientôt le coeur de sa maîtresse. Tout cela, n’en déplaise aux deux historiens, sent un peu le roman. Héritière d’une principauté considérable, Anne avait dit être vivement recherchée, avant d’avoir atteint l’âge où l’on peut faire un choix. Elle avait été demandée par le fils du vicomte de Rolian et par le comte de Richemont, dernier débris de la maison de Lancastre. Elle avait été successivement promise au prince de Galles, fils d’Édouard IV, au sire d’Albret et au roi des Romains. Quant à la part que l’amour put avoir dans toutes les poursuites dont Anne fut l’objet, il suffit, pour s'en faire une idée, de rapprocher quelques dates. Toutes ces promesses et le premier voyage de Louis XII en Bretagne, sont antérieurs à l’année 1Í84. Or, Anne était née le 16 janvier 1Í76 : elle n'a-