LIVRE XXIV. 401 Pendant toutes ces opérations, qui avaient signalé la fin de l’année 1315 et une partie de 1314, le roi de France, après de nouveaux malheurs, venait de conclure la paix avec le roi d’Angleterre, et une trêve avec l’empereur et le roi d’Arragon. Cette paix n’était pas glorieuse, mais elle mettait Louis XII en état de reprendre son projet favori, la conquête du Milanais. XII. Le pape, alarmé du retour des Français en Italie, renouvelait ses instances pour détacher les Vénitiens de l’alliance du roi, en faisant leur paix avec l’empereur. Il chargea de cette mission un littérateur célèbre, un patricien de Venise , alors son secrétaire, Pierre Bembo, qui, dans la suite, fut cardinal. Cet envoyé, chargé de concilier ses compatriotes et son bienfaiteur, composa avec soin une longue harangue, où l’ambition de l’orateur se laisse apercevoir, au moins autant que celle du diplomate. Je vais en extraire ce qui peut donner une idée de la politique du temps, ou du moins de celle de la cour de Rome. Après avoir exposé , devant le collège, les sentiments paternels que le souverain pontife avait constamment manifestés pour la république , quoique, sans lui en faire part, elle eût contracté une alliance avec la France, l’orateur assure que les vues du saint-père ont toujours tendu à réparer les pertes que Venise avait essuyées dans les guerres précédentes, et à la réconcilier, pour y parvenir, avec le roi d’Espagne et l’empereur. C’est dans cet objet qu’il a déjà ménagé un accommodement entre la France et l’Angleterre, s’exposant par là aux plaintes des autres souverains, uniquement pour servirla république. Sa sainteté n’a cessé de solliciter l’empereur et le roi catholique de rendre leur amitié aux Vénitiens; mais il serait difficile d’espérer aucun succès de ces exhortations, si Venise continuait de favoriser l’ambition du roi de France, et d’attirer les troupes dece monarque en Italie. « Le roi d’Espagne, ajoutait l’orateur, a fait savoir au saint-père que , selon son opinion , l’empereur serait disposé à traiter de la paix avec la république, et à lui rendre tout ce qu’elle a perdu, excepté seulement la ville de Vérone, moyennant un paiement de deux cent mille florins d’or. Après avoir chargé votre ambassadeur de vous transmettre cet avis, sa sainteté a voulu que cette proposition vous fût portée de vive voix, et elle a daigné choisir pour ce message un homme digne peut-être de vous inspirer quelque confiance, puisque enfin il vous appartient. « Le saint-père m’a ordonné de faire considérer à la seigneurie que, de l’acceptation ou du refus de celte proposition, peuvent dépendre le salut ou la perte delà république. Père commun de tous les HISTOIRE DE VENISE. chrétiens, pénétré pour vous de l’affcction la plus tendre, il vous conjure de ne pas rejeter ce moyen de salut. Il pense que vous devez y accéder, par respect pour Dieu, que vous offenseriez, en retardant la. paix générale de la chrétienté, et en exposant l’Église à de nouveaux malheurs; par égard pour sa sainteté elle-même, qui a négligé ses propres intérêts pour s’occuper des vôtres; enfin, et surtout par l’intime conviction des dangers que le rejet imprudent de ces propositions ferait courir à cet État. « On vous demande Vérone ; mais daignez considérer que ce n’est pas la perdre, que c'est la laisser en dépôt en d’autres mains, et pour un temps probablement très-court. On vous demande deux cent mille florins : le paiement de cette somme ne sera pas difficile, en prenant quelques délais ; et moyennant ce paiement, vous mettez fin à la guerre, et vous recouvrez toutes vos provinces. Laisser Vérone à l’empereur, ce n’est que lui laisser ce qu’il possède déjà; vouloir la recouvrer parla force, c’est compromettre peut-être l'existence de la république. « Voici le raisonnement que fait sa sainteté. Vous avez à choisir entre la paix avec l’empereur et l’alliance de la France. La paix avec l’empereur vous procure la restitution de tous vos États, excepté Vérone, la jouissance de vos revenus, la cessation des dépenses que la guerre nécessite. Remis en possession de ses richesses, votre république reprend son ancienne splendeur ; votre peuple retrouve le repos; vous êtes délivrés des inquiétudes que vous avez si longtemps éprouvées; vous n’avez plus à redouter les désastres qui sont la suite d’une bataille perdue, ou de l’infidélité d’un général. « Il y a plus : de tous les moyens de recouvrer Vérone, celui-là est le plus sûr. Quand le roi de France reviendraiten Italie, quand il y ferait encore des conquêtes, quand il vous rendrait des provinces, pourrait-il reprendre Vérone, qu'il est si facile à l’empereur de munir contre toute attaque? Si vous ôtez à l’empereur toute inquiétude du côté de l’Italie, il formera d’aulres projets ; ces projets lui feront sentir la détresse de ses finances, et il sera le premier à vous proposer de vous rendre Vérone, moyennant quelque argent. Il est impossible qu’un prince si naturellement porté aux grandes entreprises, n’ait tôt ou tard besoin de vos secours; et vous aurez manifesté votre amour pour la paix, votre modération,.en même temps que vous aurez imposé silence à ceux qui accusent votre république d’aspirer à la domination de toute l’Italie. Vous aurez coopéré à la réunion de tous les chrétiens, et rendu possible une guerre générale contre les infidèles, qui vous menacent. 20