11 4 HISTOIRE DE VENISE. la patrie; qu’ils daignent se souvenir de ce qu’ont fait leurs aïeux, et qu’ils n’exposent pas cet illustre héritage au gré d’une passion qui conseille la révolte et le meurtre pour ramener l’ordre et la paix. » « Mon frère, reprit Marc Querini, vous avez dit qu’il n’y avait rien de si fatal à un Etat que les révolutions : tout le monde le sent comme vous; mais c’est précisément ce que nous avons à reprocher au gouvernement actuel de notre république. Il déplace et dénature le pouvoir; il nous fatigue par scs usurpations, il nous plonge dans une inquiétude humiliante sur la stabilité de notre condition. Vous seriez-vous attendu que les hommes les plus honorables fussent rejetés dans la classe des sujets; qu’il leur fût interdit même de mériter à l’avenir un rang déjà si noblement acquis? C’est là cependant ce que nous voyons ; et au profit de qui se sont opérés ces changements? I,e peuple a été dépouillé de tous ses droits. Les citadins ont été réduits à la condition des populaires, et sont plutôt blessés que dédommagés par l’élévation de quelques-uns des leurs. Les anciennes familles sont divisées en trois classes; les unes sont sujettes, les autres en proie à la discorde. Les plus favorisées sont celles qui ont été maintenues dans un rang où elles auront désormais des inconnus pour égaux. On a dit que peut-être ces changements avaient pour objet le maintien de l’ordre dans la république; mais depuis cent cinquante ans, depuis qu’un doge fut massacré pour avoir perdu une armée, et apporté la peste, l’ordre public n’a été troublé que deux fois: en 1268, lorsqu’au milieu de la disette on voulut établir un impôt sur le pain, et, dans ces derniers temps, lorsque le peuple voulut recouvrer son droit de nommer le doge. La république ne peut pas trouver un avantage là où aucun de ses citoyens ne trouve le sien. Cette révolution n’a donc favorisé aucun intérêt. Je me trompe; elle a servi la passion deGradenigo, son ressentiment contre le peuple, et sa haine contre les nobles qui n’avaient pas partagé ses projets criminels. Il n’y a plus de nobles que ceux qu’il a bien voulu choisir; désormais nous datons tous de son règne. Maintenant, je le demande, croyez-vous qu’il soit possible de le ramener à des sentiments plus justes, à cette modération que nous devons tous nous proposer? Espérez-vous acquérir assez d’inlluence dans les conseils pour la faire prévaloir? Est-ce avec de la modération qu’on réprime la violence? » Sans doute nos aïeux nous ont frayé un honorable chemin ; mais ils rougiraientde nous si nous