LIVRE XVI. 249 conseil de s’ingérer à l’avenir de juger le prince, à moins que ce ne fût pour cause de félonie. Un acte d’autorité tel que la déposition d’un doge, inamovible de sa nature, aurait pu exciter un soulèvement général, ou au moins occasionner une division dans une république autrement constituée que Venise. Mais depuis trois ans, il existait dans celle-ci une magistrature, ou plutôt une autorité, devanUaquelle tout devait se taire. XX. C’est ici le lieu de placer l’origine de l’institution des inquisiteurs d’État. Jusqu’ici les historiens l’avaient rapportée au commencement du XVIe siècle. On n’avait à cet égard que des traditions fort incertaines. Dans ce qui concernait ce tribunal, tout était mystère : sou origine était inconnue comme ses règles et ses formes. Il existait, sans qu’on sut précisément depuis quand, à quelle occasion, par quelle autorité, avec quels droits :on savait seulement qu’il voyait tout, qu’il ne pardonnait rien, et l’on ne se permettait pas plus les recherches sur son origine que les observations sur ses actes (1484). Il n’y a qu’à voir avec quelle circonspection, avec quelles formules respectueuses les écrivains vénitiens s’excusent de ne point donner des notions précises sur ce tribunal. « Il n’est permis à personne, « disent-ils, d’en rechercher, encore moins d’en pé-« nétrer et d’en exposer les fonctions. » Le savant historien de la législation de Venise, Victor Sandi, qui écrivait cependant vers le milieu du dernier siècle, ne soulève pas même le voile qui couvre le conseil des inquisiteurs d’Élat. « Je de-« vrais ici, dit-il, analyser les notions que j’ai pu « recueillir sur ce tribunal suprême. Mais on ne « doit pas s’y attendre; 011 sait trop bien à Venise h et chez l’étranger que ce tribunal, si grand par 11 son autorité, par ses droits, par ses formes, est « environné de tout le mystère qui convient à son « essence et à sa destination. Le devoir d’un citoyen, ■i d’un sujet, est de garder un respect sacré pour 11 cette illustre magistrature, sans chercher à péné-« trer, et encore moins à divulguer des choses qui •i ne doivent être connues que de ceux qui sont ap-11 pelés à y prendre part. Il me parait certain, sans « entrer dans aucune discussion à ce sujet, que « cette magistrature existait dès le commencement 11 du xve siècle. Ce fut en 1339 qu’elle reçut une • forme plus solennelle, et un accroissement de « force et d’attributions. Je me bornerai à dire, « avec autant de sincérité que de justice, à la gloire « de cet auguste tribunal, que si la république ro-11 maine, si admirable d’ailleurs par scs lois, eût eu 11 une magistrature senddablc, il est permis à la •1 prudence humaine de conjecturer que celte répu-■I blique subsisterait encore, et qu’elle aurait été « préservée des vices qui ont occasionné sa dissolu-11 lion. » On voit que cet écrivain fait remonter l’institution des inquisiteurs d’Élat un siècle plus haut que l’époque où on la place communément, et qu’il ajoute que ce tribunal fut définitivement conslitué dans sa pleine puissance, en lo39. 11 n’apporte aucune preuve à l’appui de ces assertions, qui sont deux erreurs de fait. O11 conçoit que le conseil des Dix, établi dès le commencement du xiv° siècle, avec la mission de prévenir, rechercher et punir tous les délits qui pouvaient compromettre la sûreté de l’Etat; on conçoit, dis-je, que ce conseil, si porté à étendre scs attributions, eut souvent occasion de nommer des commissaires pour instruire provisoirement telle ou telle affaire; que ces commissaires, chargés de faire les enquêtes, prirent, dès l’origine, le titre d’inquisiteurs; et en effet, dès l’année 1315, on trouve un décret de ce conseil qui détermine leurs pouvoirs. 11 en est question dans d’autres décrets do 1411, 1412, 1452. Mais jusque-là ces commissaires u’élaient chargés que de découvrir ceux qui révélaient les secrets de l’État, et tant qu’ils n’agissaient que comme membres du conseil des Dix, en vertu de sa délégation, et pour lui soumettre un rapport, ils ne formaient point une magistrature à part, indépendante, supérieure même à ce conseil. L’institution de l’inquisition d’État date donc du moment où elle prit ce caractère : or, nous avons les lois qui l’établirent, les règlements qu’elle se donna. Aucun écrivain italien ni français n’en a parlé, du moins que je sache; je n’ignorais pas qu’elle était la circonspection de tous les historiens vénitiens; mais je ne pouvais concevoir qu’une institution de cette importance existât sans avoir reçu une forme légale. Aussi ai-je trouvé à Paris ses statuts manuscrits, qui, jusqu’à présent, étaient demeurés inconnus, du moins au public, et j’ai acquis en même temps la preuve de leur authenticité, d’abord par la comparaison de trois exemplaires qui sont parfaitement semblables, et ensuite par les passages qu’en rapporte, sans doute d’après d’autres copies, un écrivain du xvn° siècle, un noble vénitien de famille ducale, le cavalier Soranzo, qui a laissé en manuscrit un traité du gouvernement de Venise, le meilleur ouvrage que je connaisse sur celle matière. Dans ces divers manuscrits, on trouve une délibération du grand-conseil, prise le 16 juin 1454, qui, considérant l’utilité de l’institution permanente du conseil des Dix, et la difficulté de le rassembler dans toutes les circonstances qui exigeraient son intervention, l’autorise à choisir trois de