HISTOfRE DE VENISE. que ces intérêts s’opposaient évidemment à tousles partis qui pouvaient procurer à l’empereur une occasion facile de s’établir en Italie. On a dit que les rois pouvaient être bien servis par des ministres revêtus de la pourpre, jamais par ceux qui y aspiraient. On voit que la pourpre même ne suffit pas pour rassurer contre l’ambition ou le ressentiment des hommes de cet état, qui ne croient pas prévari-quer, en sacrifiant les intérêts de toute une nation, pour donner à l’Églisc un chef qu’ils jugent le meilleur de tous. La cour de France fit communiquer cette proposition à l’empereur, qui ne pouvait que l’embrasser avec joie, et au roi d’Arragon, qui répondit avec sa circonspection accoutumée, mais de manière à laisser espérer son accession, si on lui présentait des avantages qui dussent le déterminer. Le cardinal d’Amboise pressait chacune des parties qui devaient intervenir dans le traité d’envoyer des pleins-pouvoirs pour le conclure. L’empereur ne fit pas attendre les siens; il en chargea sa fille Marguerite d’Autriche, duchesse douairière de Savoie, espérant que le choix d’une telle négociatrice rendrait la négociation moins suspecte, et son objet plus difficile à pénétrer. Le pape et le roi d’Arragon différaient d’envoyer les leurs : l’un parce qu’il hésitait déjà, prévoyant toutes les conséquences de son imprudente démarche ; l'autre parce qu’il était dans ses habitudes de ne se décider que le dernier, et de rester toujours maître de sa parole, quoiqu’il ne se piquât pas assurément d’y être fidèle. L’empereur et George d’Amboise, voyant l'irrésolution de Jules et de Ferdinand, se décidèrent à brusquer l’affaire pour les engager. Le cardinal se rendit à Cambrai, où l’attendait Marguerite d’Autriche. L’accommodement des différents relatifs au duché de Gueldre fut le prétexte de celte réunion. Le nonce du pape et l’ambassadeur d’Arragon près la cour de France, ne purent refuser au premier ministre de l’accompagner dans ce voyage, tout en protestant qu’ils n’avaient point reçu de pleins-pou-voirs pour l’affaire qu’on allait y traiter. Elle ne pouvait présenter aucune difficulté ni entraîner aucune longueur; aussi est-il peu d’exemples d’une négociation de cette importance terminée en si peu de jours : et c’était apparemment pour faire valoir sa dextérité qu’en racontant ses conférences avec George d’Amboise,la princesse disait : « Nous « nous sommes cuidés prendre au poil, M. le car-« dinal et moi (1). » III. L’impatience du cardinal et de Marguerite (1) Lettre de Marguerite d’Autriche aux ambassadeurs de Casiille en Angleterre. (Recueil des lettres de Louis XII et de divers princes de son tems, t. I, p. 132.) pour signer la ligue était telle, qu’ils pallièrent plutôt qu’ils ne terminèrent les différents qui existaient entre la France, le duc de Gueldre et l’Autriche, pour ne s’occuper que du véritable objet de la conférence ; et que, le nonce du pape ayant refusé d’intervenir dans le trailé, faute d’y être autorisé, le cardinal d’Amboise ne se fit point un scrupule de stipuler pour la cour de Rome, prétendant que sa qualité de légat à latere lui en donnai t assez le droit; assertion que la princesse ne fit pas la moindre difficulté d’admettre. Elle reçut avec la même légèreté la signature de l’ambassadeur d’Arragon, qui, tout en assurant qu’il n’avait pas les pleins-pouvoirs de son maître, accéda pour lui à une ligue dont les conditions lui paraissaient apparemment conformes à ses instructions secrètes. Le 10 décembre 1308, on signa le traité relatif aux affaires de la Gueldre et des Pays-Bas, et pour lui donner une solennité proportionnée à l’importance des négociateurs, on en jura l’exécution avec un grand appareil, dans la cathédrale de Cambrai. L’ambassadeur de Venise avait suivi le premier ministre de France dans celle ville, et faisait tous ses efforts pour découvrir si, dans ce congrès, il ne se Iraitait point d’autres affaires que celles qu’on avouait publiquement. Mais tout le monde était intéressé à ne pas lui en laisser pénétrer le mystère, et le cardinal prodiguait, pour le rassurer, les témoignages d’affection, les confidences et les serments. D y réussit au point que cet ambassadeur ne cessait d'écrire à Venise, que la république pouvait compter plus que jamais sur l’alliance du roi. Cependant le traité avait été signé, par lequel le pape, l’empereur, le roi de France, et le roi d’Arragon et de Naplcs s’unissaient pour reprendre à la république tout ce qu’elle avait, disait-on, usurpé. Voici quel en fut le partage : Le pape devait recouvrer, c’est-à-dire acquérir Faenza, Rimini, Cervia, Ravenne, et quelques parties des territoires de Césène et d’imoia, encore occupées par les Vénitiens. Maximilien avait deux sortes de prétentions à former. Comme chef de la maison d’Autriche, il reprenait la marche Trévisane, l’Istrie, le Frioul, et tout ce qui avaitappartenu au patriarche d'Aquiléc. Comme empereur, on lui abandonnait le Padouan, le Véronais, le Viccntin, et Rovérédo, point important, dans la haute vallée de l’Adige, pour la communication du Trentin avec l’Italie. Le roi de France retenait pour sa part les provinces delîcrgame, de Brescia, de Crème, qui avaient été conquises sur les anciens ducs de Milan, Crémone et les pays compris entre l’Adda, l’Oglio et le Pô, cédés par lui-même à la république en 1499. Enfin, le roi d’Arragon et de Naples, pour prix