HISTOIRE DE VENISE. l’Italie (1). Quant aux Français, on attribua à leur politique le soin qu’ils eurent de rendre les places à ceux des confédérés dont les droits étaient le plus susceptibles de contestation. On supposait qu'ils n’étaient pas fâchés de jeter, en partant, des semences de division parmi les alliés. Si c’est leur faire trop d’honneur que d’attribuer tant de prévoyance à des commandants de place isolés, et qui n’avaient pu ni recevoir des instructions, ni se concerter, il n’en est pas moins vrai que cette manière arbitraire de partager les conquêtes désunit une ligue dont l’unité d’intérêt pouvait seule être le lien. Les Vénitiens n’avaient plus d’ennemis déclarés en Italie, et ils n’étaient rentrés que dans deux de leurs places; Bergame, qu’ils avaient surpris, et Crème, qu’il avait fallu acheter. Dès que les puissances confédérées eurent assemblé leurs plénipotentiaires, pour traiter des affaires générales de l’union, la république porta ses réclamations au jugement de ce congrès, c’est-à-dire du pape et de l’empereur; mais elle put juger, par les propositions qu’on lui lit, que le pape ne la regardait plus comme une alliée utile, ni l’empereur comme une ennemie à ménager. Voici les conditions qui lui furent, non pas offertes, mais dictées. L’empereur consentait qu’elle gardât Padoue et Trévise, qu’elle rentrât en possession de Crème, de Bergame et de Brescia ; mais il exigeait qu’on renonçât à toute prétention sur Vérone, qu’on lui laissât tout ce qu’il avait conquis, qu’on lui remit Vicence, et que la republique ne possédât ce qui lui resterait dans la terre-ferme qu’à titre de fief de l’empire. La somme à payer pour l’investiture était fixée à deux cent mille florins du Rhin, et la redevance annuelle et perpétuelle, à trente mille. C’était à ce prix que l’empereur consentait à convertir en traité de paix la trêve existante entre lui et les Vénitiens. Ils se récrièrent contre de telles propositions; et quoiqu’ils ne se flattassent guère d’en obtenir la modification, ils sollicitèrent vivement le (1) <> In tractatu secreto Gurensis volebat quoil llispani subito transirent Padum, inlrarent Lombardiam, conjuncti cum copiis Cæsaris et Helvetiis et quingentis lanceis statûs Mediolani, liberarent Brixiam obsidione Venetorum, adori-rentur Venelos qui non adimpleverant nec servabant Treu-ges in multis et prosequerentnr eos usque ad paiudes et excluderent eos ex conlinenti. » (Note de nouvelles jointe à une dépêche de Mathieu Lang, évêque de Gurck. Recueil des lettres de Louis XII, t. III, p. 290.) Les Espagnols se refusèrent à cette opération, sous prétexte qu’ils n’avaient point d’argent. (2) u Les Venissiens ne veulent aucun appoinctement avec l’empereur voslre père, sans avoir Bresse, Vérone et autres, lorsqu’ils tenoient auparavant que les François leur feissent guerre, et offrent lesdits Venissiens à l’empereur, que si pape de s’entremettre, pour amener l’empereur à des conditions plus raisonnables. Seuls, ils avaient supporté longtemps le fardeau de la guerre. Les premiers, ils avaient été les alliés du pape contre le roi de France, et après le triomphe de la cause commune, le saint-siège gardait ce qu’il leur avait enlevé ; il fallait qu’ils soudoyassent les Suisses, les Espagnols; qu’ils sacrifiassent une partie de leur territoire pour arrondir le duché de Milan : l’empereur retenait leurs deux plus belles provinces, et ne leur permettait de conserver le reste qu’à litre de vassaux et moyennant un tribut. Jules 11 avait cessé de s’intéresser aux Vénitiens, dès qu’ils avaient cessé de lui être nécessaires. Sa politique ne le portait pas à désirer que les Allemands s’établissent en Italie; mais l’ambition d’agrandir ses propres Etats l’obligeait à ménager l’empereur. 11 avait deux choses à demander à ce prince : la première, de lui sacrifier le duc de Fer-rare, pour que sa principauté fût réunie au domaine de l’Eglise ; la seconde, de reconnaître le concile de Latran. Outre cela, il désirait que l’empereur lui remit Modène, et contribuât à soumettre Sienne, pour en faire une principauté au duc d’Urbin. Maxi-milien accorda sans hésiter ces deux conditions, accéda formellement à la ligue; et le pape, non moins facile, lui abandonna les Vénitiens, le releva de l’obligation d’observer la trêve non encore expirée, et promit même de les tenir pour ses ennemis, s’ils s’obstinaient à rejeter les propositions de l’empereur. Ils ne pouvaient s’y soumettre; ils offrirent jusqu’à six cent mille ducats, pourvu qu’il leur rendit tout leur territoire (2), ils consentirent même à abandonner leurs prétentions sur Crémône; mais Maximilicn ne voulut jamais se désister des siennes i sur le Véronais : alors la république, regardant la | guerre comme inévitable, fit un traité avec les Suisses, qui s’engagèrent à la défendre moyennant un subside de vingt-cinq mille écus d’or. Par le traité de la sainte-union, les Vénitiens s’étaient obligés à en payer un de quarante mille du- leur veult laisser lesdites villes de luy donner la duché de : Milan pour luy et monseigneur l’archiduc et avec ce une I somme d’argent. Et d’autre cousté l’empereur a de grandes | offres du roy de France, et entre autres que s’il veult permettre qu’il puisse recouvrer et reprendre ladite duché do Milan, de luy donner toutes les terres que tenoient lesdiis Venissiens de ladite duché, à sçavoir Bresse, Crémone, Bergame et Crème, auxquelles deux offres tant desdits Venissiens que du roy de France vostre dit père ne vouldrait entendre. Les Espagnols vouldraient que l’empereur feil appoinctement avec lesdits Venissiens combien il fust petit, et que l’on alit faire la guerre en France. » (Dépêche de Jean le Veau, secrétaire de la légation autrichienne en France, à Marguerite d’Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, t. IV, p. 26.)