568 HISTOIRE DE VENISE. Rome de nuit et sans aucun appareil, pour ne pas donner aux ministres descoalisés un sujet de plainte. Il refusa longtemps de les admettre à lui baiser les pieds; il les renvoya à une commission de cardinaux. On voyait évidemment que son intention était de traîner cette affaire en longueur, pour prendre son parti selon les événements. Les Vénitiens n’étaient point gens à se laisser arrêter par des difficultés de forme dans de telles circonstances. Une fois entrés dans Rome, leur unique affaire n’était pas de réconcilier leur gouvernement avec le pape. 11 importait également de pratiquer tous ceux qui pouvaient avoir quelque influence sur les résolutions du saint-père, pour faire tourner selon les intérêts de la république les diverses négociations dont cette cour était alors le théâtre. Maximilien, qui n’était pas en état d’entreprendre, avec ses propres moyens, le siège de Padoue, demandait les galères de l’Église, pour faire le siège de Venise. Ce système d’attaque n’eùt peut-être pas été le plus effrayant pour les Vénitiens, mais il leur importait de ne pas compter le pape parmi leurs ennemis. Pour le déterminer à refuser sa coopération à ses confédérés, ils parvinrent à faire entrer dans leurs intérêts l’archevêque d’Yorck , alors ambassadeur d’Angleterre à Rome, qui rendit à la république ce bon office, parce qu’il travaillait dans ce temps-là à en rendre de mauvais au roi de France (1). Louis XII, quand il se détermina à quitter l’Italie, était en discussion et même en état de brouil-lerie avec le saint-siége. Les papes avaient la prétention de nommer, de leur propre mouvement, aux bénéfices dont les titulaires mouraient à la suite de leur cour. L’exercice de ce droit prétendu, fut une occasion de discorde; il n’en fallait pas tant pour réveiller une haine comme celle que Jules II et le cardinal d’Ambôise se portaient. On parvint cependant à un accommodement : le roi céda une partie de ses droits, pour un chapeau de cardinal que le pape promit au neveu du premier ministre : bientôt après on ne larda pas à se brouiller de nouveau. Le roi fit saisir les revenus des bénéfices que des prélats romains possédaient dans ses États. Enfin, le chapeau du neveu du cardinal d’Amboise arriva, et le nuage élevé entre les deux cours fut dissipé pour quelque temps. On remarqua que, dans les articles du traité qui fut conclu à cette occasion, le pape et le roi se garantissaient mutuellement toutes leurs possessions; mais qu’ils se réservaient la liberté de traiter séparément avec d’autres puis- d’André de Burgo, ambassadeur de l’empereur auprès de Louis XII, Recueil des Lettres de Louis XII, tom. I, p. 178.) sances, pourvu que ce ne fût point au préjudice de l’un des deux. Cet article laissait apercevoir évidemment l’intention où était le pape de se séparer de la ligue. Pendant ces brouilleries, Jules II s’était montré plus accessible à toutes les insinuations qu’on avait tentées auprès de lui pour le détacher de la France. 11 avait cherché à s’assurer des Suisses, dont la fidélité n’était pas à l’épreuve d’une contribution plus forte que celle que le roi leur payait. Le génie des Vénitiens se signala, en profitant habilement de toutes les occasions pour diviser leurs ennemis, sans ralentir cependant Leurs opérations militaires, qu’ils poursuivirent avec vigueur, dès qu’ils eùrent vu renaître une lueur d’espérance. XV. Leur premier soin avait été de s’assurer la conservation de Padoue, en fortifiant et approvisionnant cette place avec diligence. Mais la sagesse de leur politique et la puissance de leur administration se signalèrent bien davantage par un décret qui annonça aux sujets de la république, qui rentreraient sous sa domination, une indemnité complète de toutes les pertes qu’ils auraient éprouvées pendant la guerre. Telle était l’opinion que l’on avait de la fidélité et des ressources de ce gouvernement, que tous les sujets de terre-ferme se tinrent pour assurés de la réparation de leurs pertes, et dès lors on peut juger du zèle avec lequel ils concoururent à se délivrer de leurs nouveaux maîtres. Pour occuper et diviser les forces de l’empereur, les Vénitiens envoyèrent une escadre sur les côtes du Frioul et de l’Istrie. Ils s’emparèrent de Fiume, donnèrent deux assauts à la garnison de Trieste, en jelèrent une dans Udine. Pendant ce temps-là, ils ÿsputaientaux corps avancés de l’armée allemande les districts de Feltre, de Bellune et de Cadore, et ils surprenaient Legnago , poste important, parce qu’il leur donnait une position et un pont sur l’A-dige. Ils n’eurent pas le même succès contre Vicence et Vérone, dont ils s’étaient approchés avec quelque espérance d’y pénétrer. Des détachements de l’armée française s’y étant jetés, firent avorter cette entreprise. Mais la fortune sembla vouloir dédommager la république de ce double échec, par une faveur inespérée. Le gouverneur vénitien de Legnago apprit que le marquis de Mantoue, qui s’était mis en marche pour aller joindre les Français à Vérone, passait à quelques milles de la place, et qu’il campait assez négligemment à l’isola délia Scala, sur le Tarit) On peut voir les plaintes qu’en portait Marguerite d'Autriche au roi Henri VIII. {Recueil des lettres de Louis XII, t. II,p.97.)