342 HISTOIRE DE VENISE. semblante, César Borgia n’était pas homme à céder aux mouvements de la piété filiale ; mais il ne vit que l’avantage d’être deux fois de suite le (ils du pontife régnant, cl il entra dans la brigue de son prétendu père; on verra comment celui-ci l’en récompensa. Le conclave cette fois s’assembla sans différer. L’élection de la Rovèrc fut terminée le jour même. Le cardinal d’Amboise était entré au conclave sans aucune espérance, et il eut la douleur de baiser les pieds de celui qui lui avait arraché la tiare, dont lui-même se croyait sur un mois auparavant. Tel fut le fruit amer des longs travaux et de toutes les sollicitudes de ce ministre. Il aurait mérité une gloire plus pure, si son ambition eût pu se borner à faire le bonheur de la France (1). L'armée française, que toutes ces intrigues, pour l’élection d’un pape, avaient retenue deux mois dans les environs de Rome, se mit en route pour les frontières de Naples, où elle arriva vers la fin d’oc-lobre; mais il n’était plus temps, les Espagnols s’y étaient fortifiés au point d’y être inexpugnables. On lit contre eux une campagne d’hiver désastreuse, et après avoir essuyé une fatale déroute à Garillan, il fallut se replier sur Gaëte, où les faibles restes de deux armées françaises capitulèrent, abandonnant cette place et le royaume, pour obtenir la facullé de se retirer dans le Milanais. XX. Le nouveau pape, qui avait pris le nom de Jules 11, était nécessairement devenu l’ennemi irréconciliable du cardinal d’Amboise ; aussi le cardinal ne cessait-il de se féliciter hautement de ce que la Providence venait de placer sur le trône pontifical un ami de la France, et le pape redoublait-il ses protestations de reconnaissance pour le roi, et de dévouement à ses intérêts. Il avait eu soin de prodiguer des promesses semblables aux cardinaux de la faction d’Espagne, et quoiqu’il ne les eût pas tenues, 011 ne pouvait douter qu’il ne vit avec joie les succès des Espagnols dans le royaume de Naples, et l’expulsion des Français. Maintenant son plus ardent désir était de chasser de l’Italie ce qu’il appelait les barbares. Il oubliait qu’élant cardinal il n’avait pas mis moins d’ardeur à les y attirer. Mais ces contradictions dans un homme violent et impérieux n’ont rien dont 011 puisse s’étonner. Ce désir de délivrer la Péninsule de la présence et de l'influence de l’étranger, était certainement un vœu légitime et une idée belle et sage. Mais il (1) Il y a à ce sujet une naïveté ou une petite malice dans Montfaücok, Monuments de ta monarchie françoise, t. IV, p. 85. « Il (le cardinal d’Amboise) aspirait à la papauté, plus, dit 011, pour être en état de rendre service au vui Louis, que par ambition; mais l’un pouvait bien aller n’était pas dans le caractère de Jules II, de traiter les affaires avec cette droiture qui permet de juger les vues de celui qui les entreprend. Comme il avait plusieurs projets à la fois, ses intérêts étaient souvent conlradictoires, ses desseins compliqués, et sa politique s’en ressentait. Elle avait quelquefois l’air d’èlre inconséquente et tortueuse, toujours elle était hautaine et violente. Il avait passé une vie déjà longue au milieu des orages politiques. Son grand courage cherchait les périls, et il n’en était d’aucun genre qu’il ne sut braver. Comme prêtre, tous les éloges qu’011 faisait de lui se réduisaient à dire qu’il était moins scandaleux qu’Alexaridre VI. Comme homme, les Italiens vantaient beaucoup sa franchise, et c’était peut-être pour mériter cet éloge, qu’il se laissait accuser d’intempérance. Comme prince, il voulait illustrer son pontificat par l’expulsion des étrangers et par l’agrandissement de la puissance de l’Église. L’un ne pouvait s’obtenir que par la réunion des Italiens ; l’autre supposait la prépondérance du pape en Italie et il ne pouvait l’y acquérir que par le secours des étrangers. Ce fut de ces deux intérêts différents que résultèrent toutes les contradictions que l’on a remarquées dans la conduite de ce pontife. Dans le récit des événements que je viens de rapporter, je me suis permis quelques détails qui n’appartiennent pas précisément à l’histoire de Venise; mais ils m'ont paru nécessaires pour expliquer les événements subséquents, en faisant connaître le jeu des passions qui agitaient alors l’Europe et surtout l’Italie. XXL Le roi de France avait entrepris une conquête en choisissant le pape et les Vénitiens pour ses alliés. L’objet véritable de cette guerre était d’élevcr George d’Amboise au pontificat. La guerre avait été malheureuse. Le séjour des troupes autour de Rome avait fait manquer la seconde expédition de Naples, sans procurer la tiare au cardinal. Le roi et le ministre étaient également mécontents, il fallait bien que ce fût la faute de leurs alliés. Alexandre VI était mort, César Borgia venait d’être renversé. Les Vénitiens portaient seuls tout le poids du ressentiment de la France. Les Florentins, effrayés de la position où les plaçaient les revers de l’armée française dans le royaume de Naples, les succès des Espagnols, l’exaltation d’un pontife entreprenant, et les progrès des Vénitiens dans la Romagne, envoyèrent en France un homme d’état célèbre, Nicolas Machiavel, avec avec l’autre. « Le même historien cile nne médaille où l'on voit d’un côté la tête du cardinal d’Amboise, et de l’autre les deux clefs de Saint Pierre avec celle inscription : Tuli! aller honores.