20 HISTOIRE DE VENISE. le compétiteur qui venait le supplanter, et le blessa mortellement. Il fallut que l’armée de Venise servît à venger cette injure personnelle, et le pays de Comacchio fut ravagé, parce que celui qui avait voulu l’usurper n’avait pu réussir. Comme presque tousses prédécesseurs, Jean voulut associer un de ses parents à sa dignité; mais son frère Pierre, qu’il y appelait, mourut avant d’en être revêtu. Le doge, accablé d’infirmités, désespéré de n’avoir réussi dans aucune de ses entreprises, déclara son intention d’abdiquer le pouvoir; il l’avait exercé pendant six ans. VIII. Pierre Candiano, élu pour lui succéder, vint au palais recevoir en cérémonie, des mains mêmes de son prédécesseur, les marques de sa dignité. Mais la fortune trompa toutes les espérances qu’on avait fondées sur le choix d’un homme dans la force de l’âge et déjà illustre par d’éminentes qualités. Cinq mois s’étaient à peine écoulés qu’il entreprit de détruire les pirates de Narenta, arma contre eux douze galères, dont il prit lui-même le commandement, atteignit l’ennemi et l’attaqua avec une impétuosité qui annonçait l’intention de le détruire. Déjà il avait pris ou brûlé une partie de la flotte des Narentins lorsqu’il reçut un coup mortel. Ce malheur mit le désordre et le découragement dans la Hotte vénitienne; elle céda à son tour; les pirates la poursuivirent, en détruisirent une partie, et le reste se réfugia à Grado, où l’on rendit les honneurs de la sépulture au premier doge que la république eut vu mourir cri combattant pour elle (887). Dans la confusion qui fut la suite de ce désastre, on ne put s’accorder pour faire l’élection du successeur de Candiano. Jean Participatio, vivement sollicité de reprendre les rênes du gouvernement, prouva combien son abdication avait été sincère. Après avoir résisté longtemps aux vœux de ses concitoyens, il n’y céda qu’avec répugnance, revint habiter le palais ducal pendant six mois, et, à l’expiration de ce terme, renouvela ses instances pour obtenir qu’on procédât à l’élection d’un nouveau doge. Venise, dans l’intervalle de soixante ans, avait eu trois doges massacrés, et un déposé, deux guerres civ iles, deux flottes détruites. Pourque tantde plaies pussent se fermer, elle soupirait après quelques années d’un règne doux et tranquille, et cependant elle avait besoin aussi d’une guerre qui rétablit l’honneur de scs armes. Ce double succès était réservé au nouveau doge, Pierre Tribuno. IX. Son règne fut de plus de vingt ans. Les douze ou quinze premières années en furent paisibles. 11 dirigea vers les soins de l’administration intérieure un génie qui n’était pas moins propre à briller dans les grands dangers. Venise réparait ses pertes et sa marine par le commerce. Elle s’entourait de quelques fortifications; le port était fermé par de fortes chaînes; le quartier d’Olivolo, devenu une espèce de citadelle, prenait le nom de Castello. Mais de nouvelles guerres s’étaient allumées en Italie. Bé-ranger, duc de Frioul, et Guy, duc de Spolette, sc disputaient les débris du royaume que les faibles descendants de Charlemagne n’avaient pas su conserver, lorsque tout à coup un nouvel essaim de barbares vint fondre sur ces belles contrées (888). X. Ceux-ci se nommaient les Hungres. Ils sortaient encore de la Pannonie, inépuisable source de torrents dévastateurs. Ce fut vers l’an 900 qu’ils forcèrent le passage des Alpeset parvinrent aux bords de l’Adriatique. La réputation de Venise et l’espoir d’un riche butin ne pouvaient manquer de les attirer. Ils se jetèrent dans des barques. Città-Nuova, Équilo, Capo-d’Argere, Chiozza , furent le théâtre de leurs rapines et de leurs fureurs. Cette chaîne d’îles, qui forme une espèce de jetée dont les deux extrémités touchent presque au continent, était envahie. Il ne restait plus à traverser que le bras de mer qui sépare Venise de Malamocco. Le désordre et la terreur étaient dans la capitale. Le doge arma la flotte avec activité, rappela aux Vénitiens leur victoire sur Pépin, dans les mêmes lieux, dans une extrémité semblable, et les conduisit à l’ennemi. II est difficile de penser que des barbares, étrangers à l’art de la navigation, arrivés depuis peu sur ces côtes, embarqués à la hâte sur tous les bâtiments qu’ils avaient trouvés dans les ports, eussent une flotte bien organisée ; mais enfin c’étaient des furieux qui touchaient à leur proie. Ils coururent au-devant de la flotte vénitienne. Celle-ci profita de tous les avantages que lui donnaient la connaissance parfaite des lieux et un long exercice de l’art ; elle les mit en désordre et les défit complètement. Ils quittèrent cette mer couverte de leurs débris, et allèrent se venger sur l’Italie, tandis que le doge, ramenant sa llotte victorieuse dans Venise, qu’il avait sauvée, venait jouir, pendant les dernières années de son règne, de la reconnaissance de ses concitoyens. L’empereur d’Orient, en le félicitant de ses succès, lui envoya le diplôme de protospa-taire de l’empire. XI. Urse Participatio, qui succéda à Pierre Tribuno, était le septième doge de son nom, mais il est plus souvent désigné sous celui de Badouer. C’était un prince sage , plein de douceur et de piété, qui gouverna la république pendant vingt ans avec prudence et modération. Son règne ne fut point marqué par des événements mémoraWcs; mais il est juste de lui tenir compte de l’exemple qu’il donna,