1CG HISTOIRE DE VENISE. des matelots firent comprendre aux sénateurs, qui vinrent à diverses reprises surla (lolte,qu’il n’y avait pas sûreté à insister sur son éloignement. Le peuple se déclara pour les marins, et l’armée fut enfin autorisée à relâcher dans Venise. Zéno et ses capitaines furent introduits dans le sénat pour y rendre compte de leur conduite. L’amiral s’exprima avec sagesse, avec modération môme; mais un de ses officiers ne pouvant, comme lui, écouter en silence la dure réprimande qui leur était adressée, s’emporta contre le despotisme d’un gouvernement qui outrageait ses plus illustres défenseurs, et qui s’obstinait à compromettre le salut de la patrie, pour ne pas révoquer des ordres donnés inconsidérément. Ce manque de respect excita toute l’indignation de l’assemblée. On fit sortir Zéno et tous les capitaines, et on se mit à délibérer sur leur punition. Presque toutes les voix se réunirent pour les faire d’abord jeter en prison; mais le peuple et les marins en tumulte entouraient le palais, annonçant par des cris la résolution de défendre un général qui leur était cher. Zéno rentra dans la salle du sénat sans y être mandé; cette témérité était un nouveau crime; on le traita de rebelle. « Vous aviez, dit-il, une armée « longtemps victorieuse, aujourd’hui épuisée de fait ligues et de privations, et voilà que vous vous « passionnez contre elle. Vous l’accusez à grands « cris parce qu’elle a manifesté le sentiment de ses u besoins, de ses droits peut-être. Qu’elle périsse, « dites-vous, pourvu que l’autorité reste entière, u En effet celle autorité sera tout autrement impoli santé aux yeux des sujets et de l’étranger, lorsque « vous serez dénués de force. Ah ! si quelque or-« gueil peut lui èlre permis, l'armée ose croire que u son intérêt ne peut être séparé de celui de la paît trie. Pour prix de tout le sang qu’elle a versé, ii elle ne vous demande que l’oubli de passions fait taies; elle vous conjure de ne pas compromettre ii l’existence de l'État tout entier. S’il y a ici quel-« qu'un qui soit couvert de plus de cicatrices, qu’il « se lève et se dise meilleur citoyen. » En disant ces mots il sortit, malgré toutes les voix qui lui ordonnaient de rester, descendit sur la place, traversa les Ilots du peuple qui le saluait de ses acclamations, entra dans l’église Saint-Marc, y fit sa prière, .et se relira dans sa maison. La faveur du peuple s’était déclarée trop hautement pour qu’il fût possible, ni de punir Zéno, ni de faire partir la Hotte; le sénat délibéra pendant plusieurs jours. Enfin, pour concilier le maintien de scs ordres avec les circonstances, il fut arrêté qu’on reprendrait le projet d’attaque sur Marano; mais qu’au lieu d’y employer la flotte, on armerait des barques plus propres à faire les approches de celte place, et que Zéno donnerait une preuve de sa soumission en partant sur-le-champ pour diriger cette entreprise. Il fit sur ce projet les représentations que pouvait lui suggérer son expérience; puis il partit avec cent cinquante barques, donna un assaut à Marano, fut grièvement blessé, continua ses attaques, se vit repoussé avec perte, ne regagna scs bateaux qu’avec beaucoup de peine et de dangers, et fut rappelé à Venise, pour être envoyé ensuite à la tète d’une flotte dans les mers de la Grèce, où il ne se passa rien d’important. XXVIII. Les Génois avaient été réduits à rendre Chiozza ; mais ils avaient encore une flotte considérable dans l’Adriatique. Sur la terre-ferme les affaires des alliés auraient dû être beaucoup plus avancées, puisque, depuis un an, la guerre dans les lagunes avait réclamé tous les efforts des Vénitiens: cependant Trévisc, leur place principale, était serrée de près et en proie à la disette. On avait pendant l’hiver entamé des négociations, sans qu’il y eût apparence qu’elles amenassent un accommodement. Les Vénitiens se montrèrent résignés à des sacrifices; leurs concessions n’eurent d’autre effet que de porter plus haut les prétentions de leurs ennemis. La seigneurie se crut obligée de rappeler ses ministres et de se préparer à une nouvelle campagne. Déterminée à réunir tous ses moyens pour renforcer sa puissance navale, persuadée qu’il lui était impossible de conserver la marche Trévisane, elle prit la résolution de l’abandonner après 43 ans de possession ; mais cc qu’elle redoutait le plus, c’était de la céder à son voisin le plus odieux, au seigneur de l’adoue. Dans la crainte d’agrandir François Carrare, elle offrit cette province à un prince bien plus puissant, au duc d’Autriche. C’était un inconvénient sans doute d’appeler dans son voisinage un souverain déjà redoutable : mais les autres Etats de ce souverain étaient éloignés; il devait lui être dilficile de s’établir solidement en Italie; enfin, il importait de l’empêcher d’entrer dans cette ligue formidable contre laquelle la république avait à lutter depuis trois ans. Le traité de cession de la marche Trévisane à Léopold, duc d’Autriche, fut signé le 2 mai 1381. Immédiatement après, une armée de six mille Autrichiens entra dans cette province, et donna un juste sujet d’inquiétude et de dépit au seigneur de l’adouc. Il se voyait obligé de céder des places dont il s’était emparé. Les fausses promesses, la corruption, toutes les ruses de la faiblesse furent mises en usage par lui, pour empêcher le duc d’Autriche de s’établir dans cette province ; et en effet Carrare réussit dans son dessein (1581). Une révolution, qui, peu de temps auparavant,