LIVRE XVII. pies de Romanie et Argos, c’est-à-dire toute la côte; mais ils avaient perdu Corintlie,si avantageusement située pour garder l’entrée de cette presqu’île. Il fallait beaucoup de prudence pour éviter une rupture, et il n’était pas moins nécessaire de déployer un certain appareil de forces pour imposer un peu à ces dangereux voisins. Le sénat fit partir une flotte de dix-neuf galères pour l’Archipel, sous le commandement de Louis Loredan. Un événement imprévu, mais non fortuit peut-être, vint faire éclater la guerre en 1463. Un esclave du pacha d’Athènes se sauva, en faisant un vol de cent mille aspres, se réfugia à Coron, et y trouva un asile dans la maison d’un noble vénitien, nommé Jérôme Valaresso, conseiller de la régence de Coron, qui lui fournit les moyens de s’échapper. Cet esclave fut réclamé avec hauteur. On refusa de le rendre, alléguant qu’il s’était fait chrétien. Le pacha de Morée, pour tirer vengeance de ce refus, se jeta sur Argos , et en chassa les Vénitiens. Sur le compte que l’amiral rendit de cet événement, il fut résolu qu’on attaquerait les Turcs, pour les expulser de la Morée, et on lui envoya à cet effet un renfort de cinq grosses galères et d’une trentaine de bâtiments qui portaient une petite armée. Ces troupes, débarquéesàNaples de Romanie, reprirent et saccagèrent Argos, et allèrent ensuite, au nombre de quinze mille hommes, mettre le siège devant Corinthe. Mais celte place était trop bien fortifiée et trop bien défendue pour qu’on put l’emporter de vive force. On s’élait llatlé d’y pratiquer des intelligences; le conseiller Valaresso en avait fait entrevoir l’espérance au général vénitien, qu’il accompagnait à ce siège. On lui avait même donné le commandement de quelque infanterie. Les combats qui se livrèrent sous les murs de Corinthe, furent plus meurtriers que décisifs. Valaresso s’y comporta avec bravoure ; mais un jour il disparut, et 011 apprit avec étonnement, dans le camp, qu’il avait passé à l’ennemi. Cette désertion fit ouvrir les yeux, et on soupçonna que les Turcs avaient cherché un prétexte pour renouveler les hostilités, lorsqu’on apprit que le traître qui avait donné un asile à l’esclave fugitif, était allé à Andri-nople, où l’empereur Mahomet II se trouvait alors. (les circonstances révélaient que la guerre avait été non-seulement prévue, mais projetée. On devait s’attendre à une attaque prochaine; on voulut fortifier l'isthme, pour se mettre à l’abri d’une invasion. Ce projet avait été exécuté autrefois, lorsque Xerxès menaçait d’envahir le Péloponnèse. Dans ces derniers temps, les Vénitiens avaient, pendant qu’ils possédaient Corinthe, relevé cette vieille muraille, qui n’avait présenté aucun obstacle à l’irruption des Turcs. Ils reprirent le même travail, comme s'ils n’eussent pas été avertis de son inutilité. Trente mille hommes furent employés à cet ouvrage; en quinze jours, un mur en pierres sèches, de douze pieds de haut, défendu par un fossé et flanqué de cent trente-six tours, traversa un espace d’environ six milles d’étendue. Sur le milieu on planta l’étendard de Saint-Marc, et on y éleva un autel, où l’office divin fut célébré. Mais quand on apprit que le béglier-bey de la Grèce descendait vers la Morée avec des forces que la terreur peut-être faisait évaluer à quatre-vingt mille hommes, les troupes vénitiennes se hâtèrent d'abandonner le siège de Corinthe, et n’osèrent pas attendre l’ennemi derrière la muraille. Les généraux, avec beaucoup de raison, préférèrent un poste où leur petite armée ne fût pas obligée de se développer sur une si longue ligne. Ils se replièrent sur Naples de Romanie, et là ils soutinrent une attaque de la grande armée turque, assez vaillamment pour la repousser et pour lui tuer, dit-on, cinq mille hommes. Ce succès des Vénitiens irrita fort Mahomet contre le transfuge Valaresso, qui, pour lui faire sa cour, avait voulu lui persuader qu’il était peu difficile de chasser les Vénitiens de la Morée, et qui n’avait pas manqué d’ajouter que leurs forces y étaient peu considérables. Il se trouvait en opposition avec les rapports des généraux turcs, dont l’intérêt était d’exagérer le nombre des ennemis. La colère de Mahomet effraya Valaresso, qui, en se sauvant, tomba entre les mains d’un pacha dont le fils venait d’être fait prisonnier par les Vénitiens. Ce pacha, pour procurer la liberté à son fils, imagina de proposer à la république un échange, qui fut accepté avec empressement. Le traître fut livré aux avant-postes de l’armée vénitienne, et alla bientôt subir sur la place Saint-Marc le supplice qu’il méritait. IV. Une fois la guerre déclarée, la république ne pouvait rien avoir plus à cœur que la publication de la croisade. Le vieux pontife s'y portait avec une ardeur qui n’était pas de son âge, ni, si on ose le dire, d’un esprit supérieur comme le sien. En apprenant la bataille dans laquelle les Vénitiens avaient repoussé les infidèles, il s’écria : « Ecce quomodo JJeus excitavit populum fulelem suum. » La croisade fut préchée dans tout le monde chrétien, et le trésor des indulgences fut ouvert avec libéralité ; mais comme cette guerre ne pouvait être que fort dispendieuse, on établit une taxe pour ceux qui ne paieraient pas de leur personne, et on les obligeait à acheter les indulgences, sous peine d’ex-comrnunication. L’historien qui rapporte ce fait, ajoute que le tarif en était fort élevé; il y en avait de