HISTOIRE DE VENISE. dite aux femmes; de sorte que, pour s’établir dans la ville avec un ménage, il fallait qu’ils épousassent une femme du pays, c’est-à-dire qu’ils se fondissent dans la population indigène. XVII. Jamais peuple destiné à s'élever aux grandes entreprises commerciales, ne commença avec des moyens plus bornés. I.es Vénitiens n’avaient point de territoire : tributaires de leurs voisins pour tous les besoins de la vie, ils ne pouvaient leur offrir en échange que le poisson et le sel, productions spontanées de la nature, dont la main de l’homme ne saurait augmenter considérablement la valeur; mais plus les profits de ce commerce étaient modiques, plus il importait de l’étendre. Pour augmenter la consommation du poisson, il fallut lui donner une préparation qui permît de le conserver : pour n’avoir point de concurrents dans la vente du sel, il fallut d’abord le livrer au plus bas prix. Les bénéfices très-médiocres que les insulaires purent faire sur ces deux objets, leur fournirent les moyens d’acheter quelques produits grossiers, que leur offraient les côtes environnantes. Les bois de la Dalmatie devinrent dans leurs mains des barques, et leurs Iles le chantier de construction qui fournissait à la navigation des fleuves et des ports voisins. Plus les villes d’Aquilée, de Padoue , de Ravenne, avaient de moyens de prospérité, plus la main-d’œu-vre devait y être chère, et plus leurs habitants devaient dédaigner ce genre de travaux. Il en résulta pour les Vénitiens, outre l'avantage de vendre des objets dont leur industrie avait considérablement augmenté la valeur, l’avantage plus grand encore de se perfectionner dans l’art des constructions navales, tandis que les autres peuples ne faisaient pas les mêmes progrès, et de se trouver toujours approvisionnés de matériaux, par conséquent en état d’augmenter leur marine. Leur commerce devenant plus profitable, ils transportèrent dans leurs îles d’autres produits bruts d’un prix plus élevé, et susceptibles de recevoir un plus grand accroissement de valeur; le lin et le chanvre pour faire des agrès, le fer pour forger des ancres et des armes. Plus riches, ils s’exercèrent sur des matières plus précieuses, la laine, le colon, la soie, l'argent, l'or : plus habiles, ils parvinrent à transformer en marchandises d’un grand prix une vile matière comme celle des glaces. Chacune de ces branches de commerce faisait entrer dans Venise quelques fonds de l’étranger. Ces capitaux devenaient une nouvelle matière première sur laquelle l'industrie vénitienne s’exercait encore. Les négociants les plaçaient sur eux-mêmes et leur faisaient pro luire un gros intérêt, en les employant à acheter des marchandises brutes, qui au sortir de leurs ateliers doublaient, triplaient, décuplaient la mise de fonds. L’activité de l’industrie augmentait la population: l’accroissement de la population augmentait les consommations de tout genre; et cette consommation, plus étendue, devenait une nouvelle cause de spéculations et de bénéfices. On ne se contentait plus d’aller acheter à l’étranger les matières premières dont on manquait, on tâchait de forcer le pays à les produire. On élevait des troupeaux dans la l’olésine, on en envoyait dans les montagnes de l’Istrie autrichienne. La côte de Frioul se couvrait de mûriers. On essayait de naturaliser la canne à sucre dans les îles du Levant. La richesse du commerce augmentait la puissance de l’Etal; la puissance de l’Etat donnait de nouveaux moyens de prospérité au commerce. Faisant le monopole sur le sel, dominateurs de l’Adriatique, établis dans l’Orient, vainqueurs des Pisans et des Génois, les Vénitiens se virent assurés de la jouissance exclusive de leurs avantages commerciaux. L’aisance générale de la population , l’allluencc des capitaux étrangers, les tributs de l’Orient, les progrès du luxe, le mouvement intérieur et extérieur, la consommation des troupes, l’armement des flottes, tout devenait une occasion de travail pour le pauvre, une nouvelle source de richesse pour le spéculateur et pour l’État ; et cette source grossissait de jour en jour, pareeque chaque effet devenait cause. XVIII. Cette progression ne devait pas s’arrêter, si les circonstances extérieures n’eussent changé. Mais on vit tout à èoup diminuer la masse des consommations, et le nombre des objets sur lesquels l’industrie vénitienne s’était exercée jusqu’alors. Les autres peuples de l’Europe devinrent commerçants et cessèrent de se pourvoir à Venise de ce qu’ils purent se procurer eux-mêmes. Ils entrèrent en concurrence avec les Vénitiens, dans tous les marchés des peuples qui ne font qu’un commerce passif. Les marchandises de l’Asie changèrent de cours et n’affluèrent plus dans l’Adriatique. Enfin les arls, qui contribuent au perfectionnement de l’industrie, firent chez les autres nations des progrès que les Vénitiens ne surent pas suivre d’un pas égal. Telles furent les principales causes de l'accroissement et de la décadence de la prospérité commerciale de Venise. Je termine ici ce tableau du commerce des Vénitiens : il fut dans son apogée au xve siècle; passé cette époque, plusieurs causes le firent déchoir rapidement. La première fut la conquête de Constantinople