314 HISTOIRE DE VENISE. guerrier, ne parlait point de se liguer contre le roi de France, et ne prépara pas même un armement pour repousser l’invasion dont on le menaçait. Il fut sourd aux instances du pape et d’Alphonse ; seulement il envoya des ambassadeurs à Rome pour demander la tête de Zizim, et aux Vénitiens pour presser ceux-ci de se déclarer contre le roi. VI. La petite-vérole, qui surprit Charles VIII après son passage des Alpes, le retint à Asti jusqu’au mois d’octobre. Pendant ce tcmps-Ià ses troupes avaient battu les Napolitains à Rapallo, sur la côte de Gènes, et arrêté l’année combinée de Naples et de l’Église dans la Romagne (1494). Cependant le défaut d’argent, les obstacles divers qui retardaient l’exécution de cette téméraire entreprise, avaient fait faire quelques réllexions aux çourtisans et à Charles lui-même. Il montra plus d’une fois de l’hésitation, et il aurait peut-être renoncé à un projet si légèrement conçu, sans un cardinal génois nommé Julien de la Rovère, ardent ennemi d’Alexandre VI, et qui, connaissant trop bien ce ponlife pour se fier à une réconciliation jurée, avait cherché un asile à la cour de France. Ce cardinal ne cessait de presser le roi de poursuivre sa marche en Italie; il lui représentait que la conquête de Naples pouvait seule le dédommager et l’absoudre de l’abandon qu’il avait fait duRoussil-lon et de l’Artois. Louis Sforce vint contribuer, par sa présence, à faire cesser lés irrésolutions du roi. Enfin Charles se mit en marche, avec seize cents hommes d’armes, qui menaient chacun deux archers et six chevaux, six mille Suisses et six mille hommes d’infanterie française, dont la moitié était composée de Gascons. Son artillerie, au nombre de cent cinquante pièces, était surtout remarquable par sa légèreté, qui permettait de la faire lirer par des chevaux, au lieu d’ètre obligé d’y atteler un grand nombre de bœufs. Les français avaient substitué des boulets de fer coulé aux projectiles de pierre jusques alors en usage; cet art destructeur avait déjà fait des progrès. Les hommes d’armes n’étaient point rassemblés au hasard, pour servir sous la bannière de chefs disposés à mettre leurs compagnies aux gages du souverain qui les payait le mieux ; c’étaient tous des nationaux ; les officiers étaient des gentilshommes; ils n’avaient pour maîtres que le roi. L’infanterie suisse et l'infanterie (1) L’auleur de VHistoire manuscrite de Charles J 'ITI, citéeci-dessus. dit formellement que (¿aléas fut empoisonné par son oncle, « et pour ce que celle coustiimc d'empoisonner, originaire et commune en Italie, n’esloit encoreconnue des François, ils eurent tous le nom de LOys en horreur. " Voici commentMontfaucon s’exprime sur le même fait: i' l.e bruit commun éloil que Ludovic avoit donné ilboccotie gasconne avaient adopté, pour se former et pour combattre, certaines méthodes, qui devaient bientôt faire connaître toute l’importance de cette arme et changer l’art de la guerre. En passant à Pavie, le roi vit dans la citadelle le véritable duc de Milan, depuis quelque temps malade, et que Louis Sforce y retenait prisonnier. Charles ne lui témoigna que cette espèce d’intérêt que pouvaient permettre ses liaisons avec l’usurpateur. A peine était-il parti de Pavie, qu’il apprit la mort de ce prince. L’usurpation de Louis Sforce devait naturellement l’exposer au soupçon d’avoir abrégé les jours de son neveu (1). II ne prit aucun soin de s’en laver; seulement il se fit prier pendant quelques moments, par leconseil de Milan, de prendre le tilre de duc, au préjudice de l’héritier légitime, qui n’avait que cinq ans. C’était une vaine hypocrisie, puisqu’il s’était déjà fait donner l’investiture du duché par l’empereur. Les bruits qui se répandirent à cette occasion n’étaienlpas propresàinspirer au roi des sentiments de confiance pour Louis Sforce. Charles prenait même pour sa sûreté, lorsqu’il se trouvait avec lui, des précautions injurieuses au duc. Celui-ci n’était pas en effet un allié sur la fidélité duquel on pût compter; le pape et le roi de Naples sollicitaient Sforce depuis longtemps de concourir à faire repasser les Alpes aux Français,'en lui offrant toutes les garanties qu’il pouvait désirer pour la possession de Milan. Ce fut donc avec un allié dont la puissance étail usurpée, et dont le crime lui faisait horreur, que Charles s’engagea à pénétrer au fond de l'Italie. VIL L’armée française prit sa route à travers la Toscane. Les troupes Napolitaines, qui étaient dans la Romagne, furent contraintes de se replier pour aller couvrir la frontière des provinces plus méridionales. « En ce voyage, dit Philippe de Commines, « toutesloit désordre et pillerie. Les ennemis pres-« choient le peuple en tous quartiers, nous char-« géant de prendre femmes à force, et l’argent et « autres biens où nous le pouvions trouver. Quant « aux femmes, ils mentoient; mais du demeurant, « il en estoit quelque chose. » Les Français, en s’avançant, égorgèrent la première garnison qui leur fit résistance, et même quelques habitants. Pierre de Médicis, effrayé, vint à son neveu, pour s’emparer de son Éial, et le médecin du roi Charles disoil qu’il en avoit vu les marques. Plusieurs François souffroient avec peine qu’on dit dans le mondeque le roi étoit venu en Italie pour soutenir un scélérat, qui avoit pris le temps de sa venue pour exécuter impunémeni une aclion si détestable. » {Monuments de la monarchiv française, t. IV, p. 38.)