HISTOIRE HE VENISE. pour les Levantins, l’habitude de commercer avec d’autres nations; Les progrès des manufactures françaises et allemandes; L’importance qu’avaient acquise les ports de Trieste et d’Ancône; Les avanies des Turcs et les insultes des llarba-resques. Les Vénitiens curent à s’imputer d’avoir accéléré leur ruine par plusieurs fautes. La principale fut de ne pas profiter des inventions étrangères, et de ne pas savoir imiter ceux qui pendant longtemps les avaient reconnus pour leurs maflres. Mais il faut compter aussi, parmi ces causes fatales, l’avidité des nobles, qui, négociants, envahissaient les branches les plus lucratives du commerce; et, fermiers du fisc, maintenaient la législation des douanes dans toute sa rigueur. Les détails dans lesquels je viens d’entrer prouvent la décadence du commerce et des manufactures deVenise; cependant, lorsqu’on 1762,011 fit le dénombrement des artisans de cette capitale, il s’y trouva cent douze sortes de métiers, qui occupaient trente-trois mille neuf cent trente et une personnes, dont quatre mille étaient employées à Murano dans les ateliers de glaces et de verrerie. Qu’on juge d’après cela de ce que ce commerce devait être à l’époque de sa plus grande prospérité. Je termine celle digression par quelques mots sur la marine des Vénitiens. XXVII. La marine est une arme. Comme elle exige un long usage cl comme il faut la réunion de beaucoup de circonstances pour avoir à sa disposition les matériaux, les porls et les hommes, c’est presque toujours une arme inégale. Aussi les peuples tellement situés qu’elle leur suffise pour leur défense, sont-ils ordinairement inexpugnables. Mais pour entretenir une marine militaire, il faut une marine commerçante. Les Vénitiens jouissaient de tous ces avantages. Ils avaient des ports excellents. Les côtes de l’Adriatique leur fournissaient des matériaux de construction. Leur capitale n’était accessible que par mer. Presque tous leurs sujets étaient nécessairement marins. Un commerce florissant les entretenait dans une activité continuelle. Enfin il n’y avait dans tout le contour de la Méditerranée, qu’un peuple qui pût leur en disputer l’empire; et ce peuple, qui leur était inférieur en forces, en richesses, était encore plus affaibli par les vices et l’instabilité de son gouvernement. Les Génois, situés au pied des Apennins, comme les Phéniciens l’étaient au pied du mont Liban, avaient, par leur position géographique, quelques avantages sur les Vénitiens. Le port de Gênes était mieux placé pour communiquer avec la France, avec l’Espagne, avec l’Afrique; on en pouvait sortir facilement. Le port de Venise au contraire était d’un accès dangereux ; la mer qu’il fallait traverser pour y parvenir, était orageuse, semée d’écueils; pour la parcourir dans toute sa longueur, il fallait attendre certains vents, qui, s’ils étaient favorables à ceux qui voulaient sortir du golfe, étaient nécessairement contraires à ceux qui voulaient y entrer. C’étaient de grands inconvénients; mais ces désavantages mêmes faisaient la sûreté de Venise : elle occupait tous les bons ports de cette mer, dont la navigation était si difficile et si périlleuse. Elle n’était pas, comme Gênes, accessible par terre. Au lieu d’être séparée de l'Italie par une chaîne de montagnes, elle se trouvait à l’embouchure de beaucoup de fleuves, qui offraient une communication facile avec l’intérieur. Enfin elle était plus à portée des matériaux de construction. On a vu quel fut le résultat de la longue lutte entre Gênes et Venise. Huit ou neuf guerres n’éteignirent point la haine des deux nations. Venisecou-rut de grands dangers, mais elle finit par écraser sa rivale. XXVIII. Je n’ai pas besoin de rappeler les combats qu’elles se livrèrent ; je ne veux ici que donner une idée de la marine des Vénitiens, et de la puissance qu’elle supposait. Nous les avons vus soumettre d’abord les pirates qui gênaient leur commerce. Cette guerre dura plus de cent cinquante ans. Ensuite ils attaquèrent tour à tour les diverses côtes qui sont au fond du golfe Adriatique. Dès le ixe siècle, ils livrèrent plusieurs batailles navales aux Sarrasins établis dans la Pouille. En 840 ils perdirent contre eux, dans le golfe de Tárente, une flotte de soixante bâtiments, qui portait douze mille hommes. Ce désastre n’empêcha pas de renouveler le combat dès l’année suivante. Quand les Normands curent chassé les Sarrasins du royaume de Naples, les guerres de la république contre ces nouveaux voisins exigèrent les mêmes efforts. Une flotte de soixante-trois galères alla les attaquer, en 1084, sur la côte d’Albanie. En 1083, on équipa une autre armée de quatorze galères, neuf bâtiments légers, et trente-six gros vaisseaux, portant treize mille hommes. Deux gros navires furent coulés bas. Les Vénitiens perdirent deux mille cinq cents prisonniers et trois mille morts. Peu de mois après, ils mirent en mer une flotte encore plus formidable. Dans leurs expéditions de Syrie, ils armèrent deux cents voiles en 1093, cent en 1111, quarante galères et cent quatre-vingt-dix bâtiments en 1117; et dans le même temps que des armements si dispendieux semblaient devoir épurser leurs finances,