2o 0 HISTOIRE DE VENISE. ses membres, dont un pourra être pris parmi les conseillers du doge, pour exercer, sous le titre d’inquisiteurs d’État, la surveillance et la justice répressive qui lui sont déléguées à lui-même. Le décret porte que les inquisiteurs d’État demeureront investis de cette magistrature tant qu’ils siégeront au conseil des Dix; qu’ils seront immédiatement remplacés dès qu’ils sortiront de charge; que ce conseil déterminera leurs attributions une fois pour toutes; qu’ils ne seront assujetlis à aucunes formalités; que les avogadors ne pourront intervenir dans les affaires dont ce tribunal aura pris connaissance; qu’enfin son autorité pourra être sans limites, parce qu’on tient pour certain qu’il en usera toujours conformément à la justice, et dans l’intérêt de l’Étal. Voilà donc l’acte de l’autorité souveraine qui institue celte nouvelle magistrature. Le troisième jour suivant, le 19 du même mois, le conseil des Dix, après avoir nommé les inquisiteurs, déclare ce tribunal investi de toute l’autorité qui appartient au conseil lui-même. Sa juridiction s’étend sur tous les individus quelconques, nobles, ecclésiastiques ou sujets, sans en excepter les membres du conseil des Dix. Son pouvoir va jusqu’à infliger la mort, soit publique, soit secrète ; pourvu que les voix des trois membres du tribunal soient unanimes. Un seul pourra ordonner les arrestations, sauf à en référer ensuite à scs collègues. Ils pourront disposer des fonds de la caisse du conseil des Dix, sans avoir à rendre aucun compte. Ils pourront correspondre avec tous les recteurs, gouverneurs, généraux de terre et de mer, ambassadeurs et autres, et leur donner des ordres. Enfin, ils sont autorisés à faire eux-mêmes leurs propres règlements, à les renouveler et à les modifier, selon qu’ils le jugeront convenable. Ces règlements, le tribunal les arrêta quatre jours après, le 25 juin. Ils n’étaient d’abord qu’en quarante-huit articles; mais, dans la suite, on y fit deux additions qui en portèrent le nombre à cent trois. Ils étaient écrits de la main de l’un des inquisiteurs, inconnus même à leurs secrétaires, et serrés dans une cassette, dont l’un des trois membres gardait la clef. De telles précautions ont dù empêcher pendant longtemps la divulgation des secrets de ce tribunal. Ceux qui avaient été admis à les connaître savaient, mieux que personne, le danger qu’il y avait à les révéler. Ce tribunal monstrueux avait, comme on voit, une existence légale : sa durée était permanente, ses membres temporaires, leur pouvoir absolu, leurs formes arbitraires, leurs exécutions secrètes, quand ils le jugeaient à propos, et leurs actes ne laissaient aucune trace, pas même celle du sang répandu. Un homme disparaissait, et, si on pouvait soupçonner que ce fut par ordre de l’inquisition, ses proches tremblaient de s’en informer. Les hommes revêtus de cette terrible magistrature ne pouvaient encourir aucune responsabilité; mais eux-mêmes n’avaient pas voulu se mettre à l’abri de la terreur qu’ils inspiraient : ils avaient déterminé qu’il y aurait un suppléant, pour être appelé au tribunal, lorsque deux des inquisiteurs voudraient juger leur troisième collègue. Ce n’est point ici le lieu de donner de plus longs détails sur cette magistrature, dont je ferai connaître les statuts. Je me borne à indiquer l’époque où il faut placer sou institution. Elle ne larda pas à donner de la réputation à la police vénitienne, car vingt-cinq ans après, Louis XI écrivait à un de ses ambassadeurs : « Voulant donner ordre au fait de la « justice et de la police dans mon royaume, je vous h prie que vous envoyés quérir le petit Florentin, « pour savoir les coutumes de Florence et de Venise « et le faites jurer de tenir la chose secrette afin qu’il h vous dise le mieux et qu’il le mette bien par cs-« cripl. » XXI. On peut rapporter à celte époque le passage de quelques princes voyageurs qui séjournèrent à Venise cil allant en Italie. Entre les souverains qui passèrent à peu près vers ce lemps-là, il y en a deux dont la réception me fournit une circonstance à recueillir. En 1458, l’empereur de Conslantinople, Jean II I’aléologue, vint, ainsi que j’en ai fail mention, opérer, par sa soumission au pape, la réunion de l’Eglise grecque à l’Eglise latine. Il débarqua à Venise avec une suite de cinq cents personnes, parmi lesquelles élait le patriarche grec. Le doge, à la léle de la seigneurie, alla les recevoir à Saint-Nicolas du Lido. Eu abordant l’empereur, le doge ôta son bonnet ducal, et Jean Paléologuc se découvrit à son tour. Avec le, patriarche, le cérémonial fut différent. I.e patriarche était assis lorsque la seigneurie se présenta. Il se souleva seulement un peu à son arrivée, mais ne se découvrit point, quoique le doge lui parlât tète nue. Le sénateur Léonard Jusliniani, désigné pour faire les honneurs de Venise à l’auguste voyageur, dut cette commission à la profonde connaissance qu’il avait de la langue grecque, et s’en acquitta si bien, qu’on l’aurait pris, disait-on, pour un des hommes les plus éclairés de la cour d’Orient. L’empereur d’Occident, Frédéric III, visita cette capitale en 1452.11 allait sc marier à Naples et recevoir à Rome, des mains de l’un des deux papes, la couronne, que l'on regardait encore comme le complément de la dignité impériale. Ce sacre n’é-