LIVRE X. 1U3 Mais ce passage n’était pas le seul par où l’ennemi put pénétrer. On a indiqué au commencement de cette histoire la configuration générale des côtes de l’Adriatique dans le voisinage de Venise. Ici, pour l’intelligence de la guerre dont ces lieux vont être le théâtre, il est nécessaire de placer quelques détails géographiques. Entre l’embouchure de la Piave et celle de l’A-dige, le golfe que forment les lagunes est fermé par une suite d’iles longues et étroites qui courent du nord au midi, ne laissant dans leurs intervalles que d’étroits passages. Cette plage de dix-sept ou dix-huit mille toises de longueur, et de quelques cents toises de largeur, est un banc de sable que les eaux ont coupé en six endroits. L’espace qui existe entre ce banc de sable et la côte, forme un bassin dont la longueur est d’à peu près neuf lieues, et la plus grande largeur de deux. Ce bassin est un bas-fonds qui aurait cessé dès longtemps d’être navigable, si la main de l'homme n’y eût entretenu quelques canaux. Au milieu de ce bassin, entre l’embouchure du Musone et le passage que les bancs de Saint-Érasine et de Malamocco laissent aux eaux de la mer, s’élève un groupe de petites îles; c’est là que Venise a été bâtie. Cette ville est une place fortifiée par la nature, et autour de laquelle une vaste inondation est toujours tendue. Celte masse d'eau qui l’entoure n’est ni guéable ni navigable pour aucuneembarcation que ne dirige pas la main d’un pilote expérimenté. Dans cet espace totalement inondé circulent quelques canaux étroits et sans bords, dont lien ne trace la roule, et dont on ne peut suivre les sinuosités quand les balises sont enlevées. A l’orient des Iles s’étend la haute mer ; à l’occident ce sont les lagunes. Pour pénétrer de la haute mer dans ce bassin, il faut donc franchir un des six passages que les iles laissent entre elles ; et, pour naviguer dans cet étang, il faut suivre, sans les voir, les sinuosités des canaux à l’aide de quelques points fixes de l'horizon. Le passage le plus septentrional est celui des Trois-Portes au nord de l'ile Saint-Érasme, à l'embouchure de la rivière de Trévise. 11 n’est praticable que pour les barques de la moindre grandeur. Au midi de l’ile Saint-Érasme, un petit bras de mer la sépare de l’île du Lido. Celle-ci forme avec l’ile de Malamocco la passe de Saint-Nicolas : c’était, à l’époque dont nous écrivons l’histoire, l’entrée principale du port de Venise. Les attérissements en ont depuis élevé le fonds de manière à n'en plus permettre le passage aux grands vaisseaux. Au dessous de Venise commence l’ile de Malamocco, qui a plus de deux lieues de longueur; le passage qui au midi la sépare de l’ile de Paleslrina, se nomme le port de Malamocco ; c’est celui de tous où les eaux ont le plus de profondeur. A l’autre extrémité de l’ile de Paleslrina, un bras de mer fort étroit passe entre cette ile et celle de Brondolo, derrière laquelle est située la ville de Chiozza, qui donne son nom à celle entrée. Enfin l’ile de Brondolo forme avec la pointe du continent un sixième passage, que les eaux de l’A-dige et de la Brenta ont ensablé. Un canal principal qui traversait la lagune dans sa longueur établissait la communication entre les villes de Venise et de Chiozza. VIII. D’après celte disposition des lieux, on sen-tiraquelledut êtrela terreur des Vénitiens, lorsque, du haut de leurs maisons, n’ayant encore fermé qu’un seul de ces passages, ils virent, au commencement de juillet, dix-sept galères ennemies se présenter devant la passe du Lido, reconnaître les dispositions qui avaient été faites pour la défendre, brûler un bâliment de commerce qui se trouvait en dehors, longer toute l’ile de Malamocco,entrer dans les lagunes, en passant entre cette ile et celle de Paleslrina, débarquer quelques troupes dans celle-ci, en livrer la ville principale aux flammes, manœuvrer dans les lagunes la sonde à la main, et aller passer la nuit devant Chiozza. Le jour suivant la flotte génoise sortit des lagunes par la passe de Brondolo, et fit voile pour la Dalmalie. Bien n’était plus menaçant qu’une telle reconnaissance. Peu de jours après les Génois en firent une seconde. Ils ne se présentèrent d’abord qu’avec six galères, ce qui donna aux Vénitiens le courage de faire sortir les six qui leur restaient; mais à peine eurent-elles débouché du Lido, qu’un aperçut au large six autres voiles qui venaient renforcer l’ennemi. Il fallut que l’escadre vénitienne vint chercher sa sûreté dans le port, et laissât les Génois observer toutes les approches de la capilalp, entrer dans les lagunes par le port de Malamocco, jeter l’ancre devant Chiozza, et étudier pendant huit jours la profondeur des canaux et toutes leurs sinuosités. Dès qu’ils se furent éloignés, on s’empressa de barrer la passe de Malamocco, celle de Chiozza et les autres, comme on avait fermé l’entrée du port de Saint-Nicolas du Lido. On fit enlever toutes les balises qui servaient de guides dans la navigation des bas-fonds. On posta quelques troupes sur la plage. Une garnison de trois mille hommes fut jetée dans Chiozza. Les six galères, triste reste de la marine vénitienne, furent confiées à Thadéo Justi-