LIVRE XXIV. 407 une valeur brillante, une constance inébranlable, un rare désintéressement; et quoique sexagénaire, il avait conservé cette activité qui est le véritable moyen de suppléer à l’insuffisance des forces par la rapidité des mouvements. Le premier, il fit faire aux troupes italiennes plus de huit milles par jour; ce qui était un prodige dans ce temps-là. Le gouvernement vénitien, qui savait récompenser comme il savait punir, voulut décerner de grands honneurs à la mémoire de son général : il ordonna que son corps fût transporté à Venise, pour lui faire des obsèques magnifiques; mais cette translation ne pouvait s’effectuer saris difficulté : il fallait traverser le territoire de Vérone, que les Autrichiens occupaient, et 011 chargea le provéditcur qui avait pris le commandement depuis la mort d’Aiviane, de demander, pour ce cortège, un sauf-conduit au général ennemi. Quand les soldats entendirent parler de ce projet, ils se firent un point d’honneur de conduire les restes de leur général jusqu’à Venise, et Alviane au cercueil passa encore une fois au travers des bataillons ennemis (1). Une division française de sept cents hommes d’armes et de six mille Gascons, sous les ordres du maréchal de Lautrec, fut détachée, pour venir aider l’armée vénitienne dans ses conquêtes. Le maréchal de Trivulce, appelé par le sénat, de l’aveu du roi, à commander cette armée, s’était déjà emparé de Pesehiera, d’AsoIa et de Lunato, et il était devant Brescia, avant que ce renfort le joignit ; mais les Al-lemandsetlesEspagnolsqui défendaient celte place, bravaient l’infanterie vénitienne, et lui avaient enlevé ou encloué presque toute son artillerie, dans des sorties. Après l’arrivée des Français, on reprit le siège avec une nouvelle ardeur, et avec aussi peu de succès. On était à la fin de novembre ; une division de huit mille Allemands était annoncée, qui venait renforcer les garnisons de Vérone et de Brescia. Les Vénitiens se portèrent à sa rencontre, pour lui disputer le passage des montagnes; mais à son approche, ils se retirèrent précipitamment ; les places furent secourues, et il fallut renvoyer les sièges à la campagne suivante. Le maréchal de Trivulce, sur qui le mauvais succès de cette campagne attira beaucoup de reproches et même de soupçons, quitta le service des Vénitiens, et fut remplacé dans le commandement par Théodore Trivulce, son parent. XVII. Au commencement de 1516, on apprit avec étonnement que l’empereur, déployant pour la première fois de l’énergie et de l’activité, arrivait en Italie avec une armée formidable. 11 avait profité de la division qui s’était manifestée parmi les Suisses, (1) On a dit qu’il laissa si peu de bien que les Vénitiens furent obligés de prendre soin de sa famille; c’est une er- à l’occasion de la paix conclue avec François Ier, et obtenu quinze mille hommes des cinq cantons qui avaient refusé do ratifier le traité. C’était encore un trait de bizarrerie qui appartenait au caractère de ce prince, d’avoir choisi, pour déployer cet appareil de forces, le moment où tous ses alliés l’avaient abandonné, plutôt que de se rendre à leurs instances dans tant d’autres occasions où un effort aurait pu être décisif. Il ne pouvait plus compter sur les Espagnols : le roi Ferdinand venait de mourir, et l’héritier des monarchies d’Arragon, de Castille et de Naples était alors en parfaite intelligence avec la France. L’empereur ne devait pas compter non plus sur la coopération du pape, qui venait de traiter avecle roi; cependant il en. reçut des secours pécuniaires, et même un secours de troupes, faible à la vérité et non avoué, mais qui avertissait le reste de l’Italie de ne pas regarder cette cause comme désespérée. Une avant-garde de trois mille hommes, qu’il envoyait à Vérone avec un convoi d’argent, fut attaquée par une partie de la division de Lautrec, qui l’obligea de rétrograder, après lui avoir tué huit centshommes : cl commel’exactitude des paiements répondait seule de la fidélité des garnisons, il était à craindre que Vérone et Brescia ne fussent perdues, si on tardait à les secourir. Maximilien se mit en personne à la tête de son armée, sans attendre même qu’elle fût entièrement rassemblée, et arriva en Italie dès le mois de mars, à la tête de trente mille hommes, moitié Suisses, moitié Allemands, et de quatre ou cinq mille chevaux. II parvint jusqu’à Vérone, sans que Théodore Trivulce et Lautrec osassent se présenter sur son passage. Après avoir jeté précipitamment quelques troupes dans Padoue, ils se portèrent avec le reste vers Pesehiera, laissant, par ce mouvement, tout le pays vénitien à la discrétion de l’ennemi, et s’occupant uniquement de retarder son entrée dans le Milanais, si le Mincio était capable de l’arrêter. Mais ni le Mincio, ni l’Ogiio, ni même l’Adda, 11e parurent à ces troupes, effrayées de leur infériorité numérique, des positions où elles pussent se mesurer avec l’armée impériale. Le gouverneur du Milanais, qui était alors le duc de Bourbon, se hâta de demander un secours de dix mille hommes aux huit cantons suisses qui avaient signé le traité d’alliance avec la France, et fit brûler les faubourgs de Milan, malgré les cris des habitants, qui imputaient ce désastre aux conseils des Vénitiens et à leur jalousie. C’en était fait de toutes les conquêtes des Fran- reur, car la république lui avait donné le château de Porde-none dans le Fi'iaul.