LIVRE II. 35 . royaume de Jérusalem est en deuil; notre saint « pontife vous presse, vous conjure, par ses lettres .. et par ses envoyés, de ne pas laisser périr la foi « dans cette extrémité; vous devez employer pour « elle cette puissance navale que Dieu vous a accor-« dée; nous vous en supplions; nous vous exlior- ton» avec instance à ne pas abandonner, dans un « si grand péril, la cause de notre sainte religion. « Vénitiens, il est glorieux pour vous d'élre ap-« pelés à protéger par vos armes, à venger d’un en-. nemi qui la profane, cette terre où notre Sauveur, « noire roi, prit naissance, qu'il éclaira par sa doc-« trii e, qu’il illustra par ses miracles. Ce fut ce no-« hic dessein qui précipita vers l'Asie tant de héros « fiançais et tant de princes de l'Kuropc, avec de h poissantes armées. Ils ont eu le bonheur d'arra-' cher la Judée tout entière aux enfants de JMaho-« met. Vujourd'hui les Barbares, ayant réparé leurs « perles, dévastent cette contrée cl veulent l’oppri-< mer encore; ils veulent en bannir les chrétiens, « pour souiller celte terre de crimes et de sacrilé-« ges* C’est à vous de prévenir cette désolation par •• lié® gesse et la fermeté de vos mesures. C’est à <1 vous, peuple chrétien, peuple religieux, et qui en ■ faites gloire, de vous élancer les premiers contre ‘ une race impie, de l’attaquer avec vos flottes, cl « de,secourir, autant qu'il est en vous, un prince ami et malheureux. Voyei quelle gloire iminor-» telle, quelle splendeur en doit rejaillir sur votre ' nom; vous serez l'admiration de l'Europe et de ■ l’Afrique. « Eli ! qui pourrait d'ailleurs aimer assez peu la u pairie pour ne pas désirer de voir son empire s’é-« tendre au delà des mers? Et comment l'espérer cet « enipi re ? Serai t-ce en restant dans le repos, en nous « bornant à parcourir nos lagunes? Regardez ces « Romains dont vous vous vantez d’être issus : ce ne *- fut pas dans la mollesse et les plaisirs qu’ils ac-« qui rent l’empire de l’univers; ce fut par la guerre, « par des fatigues, par de durs travaux, qu’ils ac-« cRircnt leurs forces et devinrent les maîtres du ■ monde; c’est en détruisant les infidèles que nous « pouvons nous promettre d’étendre dans l’ürient ' la gloire et la puissance du nom vénitien. «1 Embrasés du saint zèle de la religion, touchés » de voir le royaume de Jérusalem en péril, courez • aux armes, contemplez les honneurs et le prix qui « vous attendent, et que vos flottes, destinées à ac-« croître votre puissance, triomphent de nos ennemis, et sauvent la république chrétienne. » •’C® discours excita les plus vifs transports. On y répondit par des acclamations; tout le monde drmanda à partir, et le doge se mit à la tète de l’armée. I nc flotte, que quelques historiens portent jusqu'à deux cents vaisseaux, fut prête en peu de HISTOIRE DE VEMSr. temps, et fit voile pour Jaffa. Ceci se passait en 112i; la flotte des Sarrasins croisaitdevant le port ; les Vénitiens poussèrent des cris de joie en l'apercevant, les infidèles les reçurent avec courage. Le combat fut long et terrible; on en vint à l'abordage sur toute la ligne, la victoire la plus décisive fut le prix de l'habileté; l’armée des Sarrasins fut entièrement détruite. Fiers de ce succès, heureux prélude de la campagne, et qui avait eu pour témoins tant de braves chevaliers accourus sur le rivage, les Vénitiens entrèrent dans le port de Jaiïa, cl le doge se rendit à Jérusalem (1193). XL. Les chefs, qui dirigeaient les affaires depuis la captivité du roi, lui firent l’accueil que l’on doit à un allié triomphant (1121). Il convenait de profiter de l'enthousiasme que ce premier succès avait inspiré pour tenter quelque entreprise considérable; mais les avis sur ce qu'il y avait à faire se trouvaient fort partagés. On n'avait point de plan de campagne arrêté, l’ar une suite de l'esprit religieux dont tous ccs pieux croisés étaient animés, on décida de s'en remettre à la Providence, ne doutant pas qu’elle ne daignât tracer elle-même à ses guerriers la route qu’ils devaient tenir. Les noms de plusieurs villes furent écrits sur des billets, qui furent jetés dans une urne, cette urne placée sur l’autel; on célébra les saints mystères, et ensuite un enfant lira le billet qui devait désigner la place que l’armée irait assiéger. Cette place fut la ville de Tyr; il n’en était pas de plus importante, ni de plus diflicile à prendre. Elle appartenait en commun aux souilans d’Egypte et de Damas; elle avait dix-neuf milles de circuit, et une forte citadelle. Environnée de la mer presque entièrement, elle ne tenait à la terre que par cette digue fameuse, ouvrage d’Alexandre le Grand. Elle avait arrêté ce conquérant pendant sept mois, et rendu inutiles tous les efforts de Baudouin Ier. Avant de partir pour le siège, on signa un traité par lequel il fut stipulé qu’outre le quartier de Pto-lémaïs, que les Vénitiens possédaient déjà, on leur céderait en toute propriété, dans toutes les villes du royaume, une rue entière, avec un bain, un four, un marché, et une église; que les marchandises qu’ils transporteraient en Asie seraient exemptes de tous droits; que les sujets de la république ne payeraient aucun impôt ; qu’ils ne reconnaîtraient, dans leurs domaines, d’autre juridiction que celle de leurs magistrats, même quand ils auraient à plaider comme défendeurs contre la demande d’un sujet du roi; que seulement, quand un Vénitien actionnerait un sujet du roi, il serait obligé d’aller devant le juge royal ; que, si l’on prenait les villes de Tyr et d’Ascalon, le tiers de ces villes et de leur territoire deviendrait la propriété de la république; 3