LIVRE XXII. 509 taro. Il fondit sur sa Iroupe pendant la nuit, la mit en désordre, pénétra dans le camp, fit beaucoup de prisonniers. Le marquis seul, resté caché dans un champ de blé, échappa à toutes les recherches; mais il eut besoin d’un guide pour aller à Vérone, et le paysan auquel il s’adressa le trahit. De sorte que Venise vit arriver dans ses murs, comme prisonnier de guerre, un des princes qui s’étaient ligués contre elle. Uneautrecirconstance qui favorisalesVénitiens, ce fut le désordre qui régnait dans l’armée autrichienne, suite inévitable du désordre des finances de l’empereur. Le pillage et d’inutiles cruautés firent abhorrer les Allemands. La barbarie tudes-que passa en proverbe, et l’imagination grossissant les objets, on fit des récits de femmes éventrées, d’enfants dévorés, et de chiens dressés à la chasse des hommes. Ces exagérations ne laissèrent pas d’avoir quelque influence sur la résistance que la partie énergique de la population pouvait opposer aux étrangers. Les montagnards des provinces de Trévise et de Vicence disputèrent plus d’une fois les passages difficiles, et égorgèrent un grand nombre de maraudeurs; de sorte que l’armée impériale se trou-vait-déjà sensiblement affaiblie lorsqu’elle arriva dans le Vicentin. Maximilien la commandait en personne. Elle était composée de six cents lances et de dix-huit mille Allemands. Elle reçut, en arrivant en Italie, un renfort de six mille Espagnols : sept cents gendarmes français s’y réunirent; le pape et le duc de Ferrare ne crurent pas pouvoir se dispenser d’y joindre chacun deux cenls lances : enfin on recruta huit mille volontaires en Italie et ailleurs. C’était l’armée la plus considérable qu’on eut vue depuis longtemps en Italie, et Maximilien était un général de réputation. XVI. Aussitôt qu’on vit Padouc sur le point d’è-tre attaquée, les Vénitiens y jetèrent toute leur armée, qui pouvait monter encore à vingt ou vingt-cinq mille hommes. Petigliano et le provéditeur, André Gritti, s’y enfermèrent eux-mêmes, et à l’exemple du doge, qui y envoya ses deux enfants avec cent fantassins entretenus à ses frais, beau- (1) « M. l’ambassadeur de Burgo me déclara tous les dan-giers et Inconvénients qui pourroient sourdre pour cette rompture (de l.ouis XII et de Maximilien), et de combien nuysoit la inimitié du roy d’Arragon à l’empereur vostre père, et comment à cestecause l’empereur avoit perdu Padua, et à ceste mesme cause il estoit dehors d’espoir de l’avoir, et s’il ne l’avoit dedans deux jours il estoit contrainct lever le siège et s’en retourner honteusement, et ce tout pour les vivres que le roy d’Arragon a laissé venir de Naples à Venise, desquels a esté ravitaillé Padua, et que mettant les choses en rompture il feroit tousjours pis et chercheroit tenir toujours l'empereur si bas qu’il ne pourroit lever la HISTOIRE Bit \ EiSISK. coup de familles patriciennes s’empressèrent do former un corps de trois cents gentilshommes, qui se dévouèrent pour la défense de ce dernier boulevard de la république. Le roi d’Arragon favorisa sous main les Vénitiens dans leur défense; car il leur permit de faire venir de Naples des vivres, qui servirent à l’approvisionnement de Padouc (1) (lo sept. 1Ü09). Jamais siège, dit Guichardin , n’avait été si important pour l’Italie. Tous les esprits étaient en suspens, et l’événement paraissait fort incertain. Après avoir réparé, miné, couvert de canons les vieux remparts qui environnaient la place, on construisit Intérieurement de nouveaux ouvrages entourés d’un second fossé. Toute la population des campagnes accourait pour concourir à ces travaux. Sur un autel qu’on éleva au milieu de la place publique, Gritti fit célébrer l’office divin, et là, après avoir harangué les défenseurs de l’adoue, il reçut leur serment de mourir pour sauver la liberté et la pairie. L’ennemi parut devant la place le 1!» septembre. L’armée assiégeante n’était pas de moins de cent mille hommes, tant Allemands que Français, Bourguignons, Espagnols ou Italiens. Elle amenait « cent six pièces d’artillerie sur roues, dont la moindre étoit un faucon, et six grosses bombardes de fonte, qui ne se pouvoient tirer sur affûts, mais estoient portées chacune sur une puissante charrette, chargée avec engins, et quand on vouloit faire quelques batteries, on les descendoit, et quand elles estoient à terre, par le devant, avec un engin, on levoit un peu la bouche de la pièce, sous laquelle on mettoit une grosse pièce de bois, et derrière faisoit-on un merveilleux taudis, de peur qu’elle ne reculât. Ces pièces portoient boulets de pierre, car, de fonte, on ne lis eust seeu lever, et ne pouvoient tirer que quatre fois le jour au plus (2). » Malgré cet appareil de forces, l’empereur ne fit pas investir totalement la place; il préféra se borner à l’attaque d’un point principal, et il parait qu’il se trompa d’abord sur le choix, car il changea bientôt de position. Maximilien fut encore induit en erreur par scs ingénieurs, qui d’abord avaient cru possible teste, et plusieurs autres dangiers; mesmemenL que si la rompture y estoit, que nous donrionsoccasion au roy d’Arragon de faire plus estroilte alliance avec le roy de France, et ainsy qu’il y avoit desja donné la moitié de Naples audit roy, il luy pourroit donner l’autre moitié, et faire pour ce moyen reperdre tout ce que l’empereur a conquis en Italie, et faire appoinlement entre le roy et les Vénitiens, favorisant lesdits Vénitiens contre l’empereur ainsy qu’il a fait. » (Lettre de Mercurin de Gattinare, ambassadeur de Maximilien près de Louis XII, à Marguerite d’Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, t. I, p. 189.) (2) Histoire du chevalier Boyard, cliap. 33. ¿4