LIVRE XXII. 337 de son accession à la ligue, devait rentrer dans les cinq ports que les Vénitiens occupaient sur ses côtes, c’est-à-dire Trani, Brindes, Otrante, Pulignano et Galüpoli, sans rembourser les deux cent mille écus d’or pour lesquels ces places avaient été engagées. Ce traité de spolialion était précédé d’un préambule , dans lequel les puissances copartageantes énonçaient l’intention d’unir leurs forces pour faire la guerre aux infidèles; et, reprochant aux Vénitiens les obstacles qu’ils avaient apportés à celte pieuse entreprise, en retenant les domaines dusaint-siége, elles ne se déterminaient, disaient-elles, à les contraindre de rendre ce qu’ils avaient usurpé, que dans la vue de, le faire servir à la gloire et à la délivrance de la chrétienté. Ce fut là le seul prétexte que l’on trouva pour colorer une si manifeste usurpation. Au moment où ils signaient ce traité, le roi de France était l’allié de la république, le roi de Na-ples était son débiteur, l’empereur venait de conclure une trêve avec elle , et le pape avait transigé sur l’affaire de la Romagne. Parmi toutes ces violations de la foi donnée, le parjure de Maximilien fut le seul dont on conçut quelque scrupule. Mais le pape qui en donnait l’exemple ne pouvait manquer d’en offrir le remède. On convint que les rois de France et d’Arragon, ainsi que le pape, commenceraient les hostilités le 1er avril, et qu’en même temps Jules II fulminerait contre les Vénitiens une bulle, qui leur enjoindrait de restituer toutes leurs usurpations dans qua-rantejours, sous peine d’interdit; au moyen de quoi, ce terme expiré, Maximilien se trouverait dégagé de l'obligation d’observer la trêve, et même tenu de marcher, à la réquisition du pape, contre un peuple qui aurait encouru les censures ecclésiastiques. A ces conventions principales on ajouta quelques autres clauses, savoir : que, pendant la durée de la ligue et six mois après, la maison d’Autriche s’abstiendrait de toute prétention à l’administration du royaume de Castille, ce qui était un objet d’une grande importance pour Ferdinand d’Arragon; que l'empereur, moyennant cent mille écus d’or, donnerait à Louis XII, pour lui, pour le comte d’An-goulème, héritier présomptif de la couronne, et pour leurs descendants mâles, une nouvelle investiture du duché de Milan; qu’aucune des parties contractantes ne pourrait faire ni paix ni trêve avec (1) On ne lui en avait pas caché le secret, car dans une de ses lettres Marguerite d’Autriche dit : « MM. les ambassadeurs d’Angleterre nous ont aidez et assistez de leur pouvoir et se sont déclarez pour nous ; au moyen de quoi nous ne leur avons rien célé de nostie dite affaire, quelque se- les Vénitiens, sans le consentement des autres; qu’enfin on inviterait à entrer dans cette ligue le roi d’Angleterre (1), et tous les princes qui avaient quelque réclamation à former contrôles Vénitiens, comme le roi de Hongrie, qui avait d’anciennes prétentions sur la Dalmatie ; le duc de Savoie, qui conservait les siennes au royaume de Chypre, quoiqu’il n’en eût jamais joui; le duc de Ferrare, qu’ils avaient forcé de leur céder la Polésine de Uovigo; et le marquis de Mantoue, à qui ils avaient enlevé Peschiera, Lunato et Asola. Successivement tous ces princes, à l’exception des rois d’Angleterre et de Hongrie, accédèrent à ce traité. Pour y faire entrer les Florentins, dont les secours pécuniaires étaient jugés nécessaires, on leur abandonna les Pisans, à la grande honte des princes qui s’étaient déclarés les protecteurs de ceux-ci. Le pape, quoiqu’il lut le promoteur de la ligue, fut celui des confédérés qui la ratifia le dernier. Ainsi se forma contre la république de Venise cette conspiration de rois qui n’avait point eu de modèle dans l’histoire. Un politique du temps (2) blâme fort Louis XII d’avoir coopéré à la ruine des Vénitiens. 11 compte jusqu’à cinq fautes dans la conduite de ce prince. Selon lui, le roi, arrivé en Italie et maître du Milanais, n’avait, pour s’y maintenir, qu’à se faire le protecteur de tous les petits princes menacés par l’ambition du pape ou de la république. Au lieu de cela, il commença par fournir des secouns à Alexandre VI, pour lui faciliter l’envahissement de la Romagne et la destruction des seigneurs qui possédaient ce pays : c’était s’affaiblir soi-même pour agrandir un rival. Il fit la folie de partager le royaume de Naples avec le roi d’Espagne : de deux choses l’une : ou il pouvait conquérir ce royaume avec ses propres forces, ou il ne le pouvait pas : dans le premier cas, il fallait faire cette conquête seul et pour lui seul; dans le second , il fallait se contenter des soumissions du roi de Naples; dans aucun cas, il ne fallait attirer en Italie un étranger redoutable. Ainsi il ruina ceux qui ne demandaient qu’à être ses protégés ; il agrandit le pape déjà puissant, il appela les Espagnols en Italie; il ne fit rien pour s’assurer même des Milanais; il se ligua avec l’empereur, le roi d’Espagne et le pape, pour dépouiller les Vénitiens; tandis que ceux-ci étaient certainement des voisins moins dangereux que les autres. IV. Cette ligue présentait une réunion d’éléments si naturellement incompatibles, qu’elle a été consi- cret qu’il feust, afin qu’ils en puissent avertir le roi leur maistre. » (Recueil des lettres de Louis XII et de divers princes de son tems, t. I, p. 132.) (2 Machiavel, le I’rince, chap. 3.