LIVRE XXI. 327 une passion qui paraissait payée de retour; mais scs armes ne furent pus heureuses: poursuivi devant le parlement comme rebelle, prisonnier à la bataille de Saint-Aubin, il expia, par une détention dans une cage de 1er (1), les troubles qu’il avait excités dans le royaume. Les désordres de la Bretagne n’étaient pas moindres; la princesse avait été, tour à tour, recherchée par le vicomte de Ilohan, par le comte de Riche-mont, qui fut depuis roi d’Angleterre sous le nom de Henri VII ; promise au sire d’Albret et au prince de Galles, fils d’Édouard IV; enfin, épousée au nom de Maximilicn, roi des Romains. Après la cérémonie on avait couché la princesse, et l’ambassadeur, tenant d’une main la procuration de son inaitre, avait, en présence de témoins, introduit sa jambe, nue jusqu’au genou, dans le lit de la nouvelle épouse. Mais ni tant de mariages commencés ni celte espèce de prise de possession n’avaient pu fixer sa destinée. Les progrès des armes du roi dans le duché de Bretagne furent si rapides, qu’on jugea qu’il n’y avait qu’un moyen de l’arrêter, c’était de lui offrir à la fois la province et la duchesse. Cette négociation présentait de grandes difficultés. D’une part, la duchesse était mariée par procureur avec Maximilicn; d’un autre coté, le jeune Charles VIII l’était aussi avec une fille de ce même vait donc, en 1484, que 8 ans. Quant au duc d’Orléans, il en avait alors 22, étant né en 14G2. De plus, il était marié depuis l’année même de la naissance d’Anne de Bretagne, et il ne pouvait pas pensera rompre ce mariage, puisque sa femme était la fille du dernier roi et la sœur du roi régnant. Il serait difficile de croire à une passion réciproque entre un prince déjà marié et une princesse non encore nubile. C’est cependant ce que racontent tous les historiens, tant Bretons que Français. Si on veut placer la naissance de cette passiou à une époque postérieure, il faut choisir entre l’année 1485, qui fut celle du second voyage que le duc d’Orléans fit en Bretagne, ou l’année de la guerre qui se termina par la bataille de St.-Aubin, en 1488, ou enfin l’époque du mariage de Charles VIII avec Anne en 1491. Mais à la première de ces époques, les obstacles physiques étaient à peu près les mêmes, puisque la princesse n’avait que 9 ans. A la seconde, la princesse avait déjà 12 ans, mais le prince était marié depuis douze. Enfin, lorsqu’elle se maria avec Charles VIII, le duc d’Orléans n’avait pu devenir amoureux d’Anne, puisqu’il ne l’avait pas vue depuis la bataille de St.-Aubin, à moins que sa tête ne se fût exaltée pendant sa prison. On s’explique très-bien la répugnance d’Anne, princesse jeune, belle, sachant le grec et le latin, à épouser Charles VIII, prince difforme, d’un esprit inculte, et dont les armées ravageaient les Etats de la duchesse et la tenaient elle-méme assiégée. C’est apparemment pour rendre cette répugnance plus intéressante, qu’on a voulu opposer à un mariage forcé un amour malheureux, (¿aillabd s’est tellement attaché à cette idée, qu’en analysant une clause du Maximilicn, amenée depuis longtemps en France, mais non encore nubile. On négocia avec du canon. Les troupes françaises pénétrèrent en Bretagne de toutes parts. La duchesse sentit qu’elle allait perdre scs Étals. Elle se détermina à accepter la main de Charles; celui-ci renvoya la jeune princesse d’Autriche et épousa Anne de Bretagne. Charles VIII avait avoué l’ambition d’envahir la Bretagne pour en garder la possession. II tirait son droit de ce que le dernier duc n’avait point d’enfants mâles. On avait nommé des commissaires, et Anne, dans cette négociation, avaitété réduite à s’abstenir de prendre le litre de duchesse. Le mariage eut pour objet de faire cesser toutes ces prétentions. La princesse, en considération de l’honneur que lui faisait le roi en l’épousant, lui cédait et transportait, pour lui et les rois de France ses successeurs, à jamais, irrévocablement, soit comme héritage, soit à litre de donation faite en raison du mariage, tous scs droits sur le duché, dans le cas où elle mourrait avant le roi, sans qu’il y eûl des enfants de leur mariage, le constituant dès à présent son procureur fondé. De son côlé, et dans le cas de prédécès sans enfants issus du mariage, le roi se désistait en faveur de la reine, sa veuve survivante, de toutes ses prétentions sur la Bretagne; mais à condition que, dans contrat de mariage, qui obligeait la reine devenue veuve sans enfants à épouser l’héritier de la couronne, il ajoute : « Cet article ne put déplaire à la princesse; il lui laissait « l’espérance, quoique éloignée et incertaine, d’épouser le « duc d’Orléans.» Voilà encore une réflexion qui appartient au roman plus qu’à l’histoire. Anne, âgée de 14 ans, épousait Charles VIII qui n’en avait que 21. Assurément il était probable qu’ils auraient des enfants; et en effet ils eurent trois fils et une fille, qui moururent en bas âge ; et il n’était nullement vraisemblable que le duc d’Orléans, alors âgé de 29 ans, survécût au roi, ni qu’il pût épouser sa veuve, étant déjà marié lui-méme depuis 14 ans. Tout cela démontre, ce me semble, que la passion de Louis XII et d’Anne de Bretagne n’a pu remonter à une époque a.ussi ancienne ; mais il n’en résulte pas que cette passion n'ait pris naissance plus tard, et il serait difficile de ne pas le reconnaître dans la conduite du prince. (1) Voltaire se moque (Essai sur les mœurs) des cages de fer de Bajazet et de Louis Sforce; mais il est certain que, vers la fin du xve siècle, on en fit plusieurs fois usage. On peut en croire Philippe de Cohaikes, qui, suivant son expression, en avait tasté huit mois. Quant au duc d’Orléans, Louis XII, il était en prison dans la tour de Bourges; et le soir, par précaution, on l’enfermait dans une cage de fer. Ces cages étaient de l’invention d’un évéque de Verdun nommé d’Harancourt. Ce sont les auteurs de l’Art de vérifier les dates qui nous l’attestent (article de Louis XI). La justice divine voulut qu’il fût le premier sur qui on en fit l’essai. Il y fut enfermé pendant quatorze ans, et le cardinal de Balue pendant douze.