LIVRE XXII. 5G:í l’étranger, chassa le commissaire impérial, et déclara qu’il ne voulait point séparer son sort de celui de la république. On courut au camp de Petigliano, le supplier de jeter au plus vite une garnison dans Trévise; et six ou sept cents hommes qu’il y envoya, sauvèrent cette ville fidèle. Ainsi la puissance vénitienne, sur la terre-ferme, se trouvait réduite à trois villes : Trévise, Maraño et Osopo. XI. On avait senti dès le premier moment la nécessité d’essayer la négociation, pour arrêter, s’il était possible, le cours de ces désastres. Deux cardinaux vénitiens, qui se trouvaient alors à Rome, furent chargés d’offrir au pape toutes les soumissions qu’il pouvait exiger de la république. Elle lui remettait la citadelle de Ravcnne, seule place de la Romagne qui restât en son pouvoir; elle suppliait sa sainteté de considérer tout le danger qui devait résulter, pour l’Italie et pour le saint-siège lui-même, du voisinage des étrangers et de la destruction de la puissance vénitienne; elle sollicitait la médiation du père commun de la chrétienté. Quand ce message arriva à Rome, le pape n’avait plus rien à demander aux Vénitiens. Son armée avait soumis toute la Romagne. Aussi la première réponse de Jules II fut-elle dure, et aurait-elle été désespérante pour tout autre qu’un négociateur italien. Le ministre de Venise, en recevant humblement tous les reproches du pape, en écoutant ses invectives, sa demande de la restitution des fruits que la république avait perçus pendant l’usurpation des domaines de l’Église, s’appliquait surtout à démêler les véritables sentiments de ce pontife à l’égard des puissances coalisées, et crut deviner qu’il ne serait pas fâché de mettre un terme aux progrès des ultramontains. Dès qu’on put soupçonner l’existcnce de cette disposition, on redoubla les supplications et les soumissions envers sa sainteté. Le doge lui écrivit pour implorer le pardon de la république, et la permission d’envoyer six sénateurs qui viendraient s’humilier aux pieds du saint-père, et recevoir l’absolution des censures que les Vénitiens avaient encourues. Cette lettre fournit à Jules une occasion de manifester ses véritables sentiments. Il assembla le consistoire, et pris l’avis des cardinaux, sur la réponse à faire aux Vénitiens, laissant entrevoir qu’il n’était pas éloigné de les réconcilier avec l’Église. Les cardinaux l’affermirent dans cette résolution, et, malgré les efforts des ambassadeurs de France et de l’empire, il permit d’espérer qu’il admettrait les ambassadeurs chargés de solliciter l’absolution de la république. XII. Dans le même temps, Venise envoya une ambassade à l’empereur Maximilien. Les soumissions envers le pape étaient regardées comme des formules, qui, motivées sur la puissance spirituelle de celui qui devait les recevoir, ne compromettaient pas la puissance temporelle de celui qui les employait ; mais, avec le chef de l’empire, ces soumissions étaient d’une tout autre conséquence. Aussi, tandis que quelques écrivains ont pris soin de recueillir la harangue que l’ambassadeur, Antoine Jusliniani, prononça devant Maximilien, tous les historiens vénitiens se sont-ils efforcés de prouver qu’elle n’était qu’une pièce supposée. L’authenticité de ce discours a été déjà discutée; c’est un point de critique, dont l’examen nous entraînerait trop loin, sans nous conduire à une solution dont les lecteurs impartiaux fussent satisfaits. Le devoir de l’historien n’est pas d’éclaircir tous les laits obscurs, mais de rapporter les faits douteux, en les donnant pour ce qu’ils sont, lorsque leur importance ne permet pas de les passer sous silence. Voici donc la harangue que Guichardin met dans la bouche de l'ambassadeur. Après un exorde dans le goût du temps, où il cite les traits de clémence par lesquels Alexandre, Scipion, César, se sont illustrés, l’orateur ajoute: «Ces vainqueurs du monde, « dont l'empire est votre héritage, et dont la majesté « réside en vous, n’ont-ils pas conquis plus de na-« lions par leur clémence et leur équité, que par « leurs armes? La victoire a mis le sort des Véni-« tiens entre vos mains; mais ce ne sera pas une « moindre gloire d’en user avec modération, si, con-