LIVRE XXIII. 589 dit-on, elles ne sont jamais utiles qu’à celui qui les fournit : battues, elles vous abandonnent; victorieuses, elles vous oppriment. Ces généralités ne suffisent point pour faire condamner la conduite de ce pontife. Sans doute il porta trop loin l’ardeur guerrière; mais le projet d’expulser les étrangers de l’Italie était grand et noble ; or, dans l’impossibilité de les en chasser avec ses propres troupes, que pouvait-il faire de mieux que de former une ligue de tous les princes italiens, et de sc mettre à leur tête? Toute la cour du pape se jeta à ses pieds, pour le supplier de sauver Rome, d’abandonner ses projels; mais les ambassadeurs de Venise et d’Arragon étaient là, et la constance de cet intrépide vieillard n’avait pas besoin d’être raffermie. Malgré tous les motifs de sécurité que ces ministres pouvaient tirer des pertes très-considérables que l’armée française elle-même avait essuyées, malgré tous leurs raisonnements sur les relards que le défaut de vivres et la mort du général devaient apporter dans ses opérations , le péril de Rome était certainement très-grand ; aussi le pape fit-il préparer quelques galères dans le port d'Ostie, et, comme sa fermeté n’excluait pas la dissimulation, il prêta l’oreille aux propositions d’un envoyé de France, qui était depuis quelque temps à sa cour (1). Ce négociateur faisait des offres dignes en effet d’être acceptées, si Jules eût pu perdre de vue un moment son projet de chasser les Français de l’Italie. L’envoyé offrait une entière satisfaction au pape sur presque tous les points. Le roi consentait à dissoudre son concile, à laisser Bologne au saint-siège; il sacrifiait même presque entièrement les intérêts du duc de Ferrare, et, pour tout cela, il ne demandait à Jules que de faire une paix séparée entre l’Église et la France. On a reproché à Louis XII de n’avoir pas ordonné à son armée de poursuivre sa victoire; il est certain qu’elle pouvait marcher sur Rome; mais il ne l’est pas que Jules II eut cédé. Il avait auprès du roi un puissant auxiliaire, c’était la reine Anne de Bretagne, qui, troublée des terreurs que lui inspiraient les ecclésiastiques auxquels elle abandonnait la direction de sa conscience, ne cessait de fatiguer son mari de ses sollicitations, pour qu’il se réconciliât avec le chef de l’Église (2). Louis fit plus que ne lui permettaient l’intérêt de ses peuples (1) Voyez les articles proposés de la part du pape. {Recueil des lettres de Louis XII, t. II!, p. 248.) (2) Elle faisait même solliciter l'absolution pour elle et pour le Dauphin, au cas que le pape ne voulût point absolument pardonner à Louis XII; séparant ainsi sa cause de celle du roi son mari. « Scripsit Rev. D. Cardinalis de Luxemburjj ad sanctissimum dominum nostrum multuin etl’honneurde sa couronne. Ceux qui composaient le conseil du pape ne pouvaient comprendre qu’on hésitât à accepter de pareilles conditions. Jules ne les rejetait pas , mais il voulait attendre les événements. 11 savait que le roi d’Angleterre allait se déclarer contre la France; que les Suisses se disposaient à une nouvelle invasion dans le Milanais, et il venait de recevoir une dépêche qui lui faisait connaître la véritable situation de l’armée française. Le cardinal de Médicis, fait prisonnier à la bataille de Ravenne, avait prié la Palisse, commandant de l’armée depuis la mort de Gaston , de lui permettre d’envoyer quelqu’un de sa suite à Rome. La Palisse eut la légèreté d’accorder cette permission, et le pape fut informé que les Français, après avoir soumis toutes les places de la Romagne, à l’exception d’Imola et de Forli, étaient fort incertains sur ce qui leur restait à faire ; qu’ils avaient perdu dans la bataille trois ou quatre mille hommes , et beaucoup depuis par la désertion; que les Allemands à la solde du roi venaient de recevoir de l’empereur l’ordre de rentrer dans leur pays; que la mésintelligence avait éclaté entre les généraux et le cardinal de Saint-Severin, parce que celui-ci avait voulu recevoir, au nom du concile, le serment de fidélité des villes conquises; que le nouveau général était fort irrésolu , qu’il attendait des ordres do sa cour , et que le moindre événement pouvait le déterminer à s’éloigner des Etals romains. Jules II, pour confirmer les Français dans cette disposition, poussa la duplicité jusqu’à signer, le 20 avril, des préliminaires qui paraissaient assurer la paix, et commit pour traiter définitivement avec la cour de France, le vice-légat qu’il avait alors à Avignon ; mais en ayant soin de différer l’envoi des pleins pouvoirs. Ce fut dansce moment do sécurité, et au milieu de l’ivresse de la victoire, que le concile réuni à Milan prononça contre Jules le décret que nous avons déjà rapporté. Les choses étaient dans cet état, lorsque la Palisse reçut l’avis d’une prochaine irruption des Suisses, sur les frontières de Milan. Il laissa dans la Romagne le cardinal de Saint-Severin, avec quatre cents gendarmes et six mille hommes d’in-fanlerie, cl marcha à grandes journées contre ces nouveaux ennemis. dcprecalorias rogans et obsecrans réconcilia tionem régis Francorum cum sanclitale suâ, rejiciens omnem culpam piæteritorum in consilium, et multis persuade! ut régi petenti veniam parcal, si non vult régi, delphino saltein successori et reginæ quæ flens precatur veniam. » (Dépêche de Jacques de Bannissis à Marguerite d’Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, t. IV, p. 5t.)