LIVRE XVII. 2G1 guerre civile, et qui le retinrent dans ses propres États. IX. Tranquille de ce côté, le sultan porta une armée en Albanie. La principale place de cette côte était Sculari. Les Turcs y trouvèrent une résistance digne des temps héroïques. Un assaut qui dura huit heures leur coûta sept mille morts. Cette belle défense couvrit de gloire Antoine Loredan, qui, avec une faible garnison de deux mille cinq cents hommes, brava une armée de soixante mille Turcs, la faim, lâ soif, et força les ennemis à lever le siège. Une attaque du roi de Hongrie, qu’on détermina enfin à entrer en campagne, obligea les Turcs d’abandonner l’Albanie pour se porter sur les bords du Danube (1474). Thomas Marcello, qui régnait alors, est un de ces doges obscurs qui n’appartiennent pas à l’histoire, mais dont le nom ne pourrait être supprimé, sans jeter quelque confusion dans la chronologie. 11 eut pour successeur, en 1474, un guerrier illustre, ce Pierre Moncenigo, que nous avons vu commander les Oottes de la république dans l’Archipel, et que Venise perdit, peu de temps après, d’une maladie qu’il avait contractée dans la dernière campagne. On élut à sa place André Vendramino, le 15 mars 1476. L’élection de Vendramino a ceci de remarquable, que ce fut le premier exemple de l’élévation au do-gat d’un homme nouveau, c’est-à-dire issu de l’une des familles admises dans le grand-conseil à la fin de la guerre de Chiozza. Il descendait d’un banquier anobli cent ans auparavant, pour avoir fourni à ses dépens un vaisseau dans les dangers de la république. Les cris de quelques anciens nobles, qui regardaient la couronne comme le patrimoine exclusif de leurs maisons, n’empêchèrent pas le parti de Vendramino de triompher. C’était un homme allié à des familles puissantes, riche de cent soixante mille ducats, libéral, père de onze enfants, qui armait à lui seul un gros vaisseau pour le commerce d’Alexandrie, et qui donnait jusqu’à sept mille ducats de dot à ses fdles (1476). La guerre contre les Turcs traînait en longueur, elle était ruineuse, et pouvait se terminer par des désastres. Le gouvernement vénitien sollicitait de tous eôlés des secours. Florence, le duc de Milan, le duc de Modène, fournirent quelque argent pour armer des galères. Il n’y avait rien à espérer du roi deNaples. 11 était alors brouillé avec la république, pour des affaires sur lesquelles nous aurons occasion de revenir. Le pape Sixte IV, protecteur de ce prince, refusa de contribuer aux frais d’une guerre qui devait intéresser si vivement le chef de la chrétienté. Les Vénitiens en furent si indignés, qu’ils rappelèrent leurs ambassadeurs de Rome, inter- rompirent leurs relations avec le saint-siége, et menacèrent même de faire convoquer, de concert avec la France et l’Empire, un concile auquel le pape serait dénoncé. Un de leurs anciens généraux, Barthélemi Co-léone, descendant, dit-on, des anciens seigneurs de Bergame, et inventeur de l’usage de traîner l’artillerie sur les champs de bataille, mourut à cette époque, et légua à la république une somme de deux cent seize mille ducats, à condition qu’on lui érigerait à Venise une statue équestre. Ce général avait montré beaucoup de talent. Sa fidélité n’avait pas toujours été aussi incontestable, mais il avait rendu de grands services. On accepta le legs, et la statue fut élevée. De nouvelles négociations avec le sultan amenèrent une trêve momentanée; mais les espérances de paix ne tardèrent pas à s’évanouir. Venise déploya alors tout l’appareil de sa puissance. Une flotte de cent galères se rassembla à Naples de Romanie ; et le nom de son général, Antoine Loredan, le défenseur de Sculari, paraissait un garant certain des succès de cette campagne. Partout où les Turcs se présentèrent sur les côtes de la Grèce, ils trouvèrent cet infatigable adversaire. Un pacha vint, à la tête de quarante mille hommes, mettre le siège devant Lépante; Loredan ravitailla la place et la secourut si puissamment que tous les assauts des Turcs furent repoussés. En Albanie, une autre armée turque investit la ville de Croyc ; l’amiral eut la gloire de la délivrer. Le pacha de Bosnie osa attaquer la république de plus près; il passa le Lisonzo au mois d’octobre 1477, tailla en pièces les troupes vénitiennes rassemblées près de Gradisca, et poussa jusqu’au Tagliamento, jusqu’à la Piave. Du haut des tours de Venise, on vit la flamme qui dévorait les villages de cette contrée. Toutes les troupes disponibles accoururent; la population de Venise fut enrégimentée, toutes les provinces prirent les armes pour repousser l’invasion des Ottomans, et on ne leur laissa pas même la joie d’emporter le butin qu’ils avaient fait. Mais, en se retirant, ils y laissèrent un autre fléau : la peste s’y manifesta et pénétra, au mois do décembre, dans la capitale de la république. Ses ravages furent affreux, la terreur répandue par ce fléau dispersa les conseils. X. Tout à coup on apprit que le roi de Hongrie avait fait sa paix séparée avec le sultan, et était même devenu son allié. Celte défection jeta les Vénitiens dans les plus vives alarmes. Comme ils avaient soin d’entretenir toujours quelque négociation entamée, ils firent annoncer qu’ils étaient résignés à quelqucssacrifices. lis ne demandaient plus la restitution de Négrepont; ils cédaient Croyc, quelques