238 HISTOIRE DE VENISE. son armée; il ne leur demandait que de rester neutres. II envoya son frère à Venise pour y traiter cette affaire. La seigneurie lit signifiera ce négociateur, que, s’il ne signait pas tel jour le traité tel que la république l’avait dicté, il serait jeté en prison. Le traité fut signé en effet par le plénipotentiaire, mais Sforce refusa fermement de le ratifier. Ce sont là de ces traits qui n’appartiennent qu’aux hommes d’un grand caractère. Un conquérant qui refuse la moitié du duché de Milan, parce qu’il croit avoir droit à tout le reste, peut n’être qu’un ambitieux; mais le fils naturel d’un soldat parvenu, qui, encore presque sans Étals, ose soutenir la guerre contre toule l’Italie, pluUH que de signer sa spoliation, ne peut être qu’un homme extraordinaire. On jeta des cris d’indignation de ce que Sforce avait refusé d’accep-ler le traité signé par son frère; on soutenait que cet engagement, pris par son plénipotentiaire, était obligatoire pour lui; on l’accusait d’avoir violé sa foi. Ces imputations n’étaient pas justes sans doute, puisque le plénipotentiaire n’avait cédé qu’à la contrainte; mais il est vrai aussi que Sforce, pour ralentir les préparatifs des Vénitiens, avait feint d’être disposé à un accommodement et avait accordé une trêve d’un mois aux Milanais. Cette ruse, qui endormit en effet la vigilance de ses ennemis, prépara ses succès. Ce n’élait pas aux Vénitiens, qui l'avaient trahi, de lui reprocher sa duplicité : il se crut obligé de s-’en justifier comme si c’eût été un acte nouveau dans la politique italienne; il fit faire une consultation par de savants théologiens, qui trouvèrent des arguments pour l’absoudre; et, après avoir répandu leur décision dans toute l'Italie, il reprit le blocus de Milan. C’était déjà un échec pour la vanité de la république, d’être obligée de recourir aux armes, après avoir parlé avec tant de hauteur. Elle voulait envoyer un ambassadeur au peuple de Milan, pour l’encourager dans sa résistance et lui promettre de prompts secours; mais tous les passages étaient gardés:il fallut se résoudre à demander un sauf-conduit à Sforce; et la mortification fut d’autant plus sensible, que le sauf-conduit fut accordé sans difficulté. IX. La campagne commença vers les derniers jours de décembre 1449: l’objet des Vénitiens était de s’approcher de Milan, pour l’empêcher de se donner à Sforce; mais il fallait passer l’Adda, et Sforce était accouru de Cassano pour se placer entre leur armée et celle des Milanais (14Î50). L’Adda, depuis l’endroit où il est resserré par les montagnes jusqu’au dessous de Lodi, n’offre partout qu’un passage difficile. Les eaux sont rapides, les gouffres profonds, la rive escarpée. Cette barrière naturelle du Milanaises! un obstacle pour une armée qui veut le secourir : point de bois qui en permettent les approches sans être aperçu ; point d’îles qui donnent la facilité de jeter un pont ; point de position où l’on puisse se fortifier après avoir effectué le passage. Je me laisse entraîner, peut-être sans nécessité, à décrire des lieux qui ont été le théâtre de tant de guerres. Je n’ai pu me défendre de m’y arrêter un moment. Si, lorsque cette histoire verra le jour, il reste encore quelques-uns de ces braves qui ont arrosé ces bords de leur sang, et si elle tombe sous leurs yeux, peut-être qu’en reconnaissant les lieux où ils ont combattu, ils me pardonneront d’avoir réveillé en eux un souvenir de leurs jeunes années, qu’il serait bien injuste de leur envier, car il sera mêlé d’une cruelle amertume. Les Vénitiens, pour effectuer le passage avec moins de difficulté, se rapprochèrent des montagnes, et jetèrent un pont protégé par la petite forteresse de Brevi; mais à peine leur avant-garde com-mençait-elle à se déployer sur la rive droite, que Sforce fondit sur eux, et les obligea de repasser le fleuve précipitamment. Le surlendemain, ayant appris qu’un corps de huit mille hommes était parti de Monza, sous le commandement de Jacques Piccinino, pour venir opérer sa jonction avec l’armée de Venise, il se porta au devant de ce corps, le battit complètement, le poursuiviljusquc prcsdeMonza, et, le soir même, revint sur le bord de l’Adda , où il trouva les troupes vénitiennes, qui avaient passé le fleuve encore une fois, et qui rétrogradèrent à son approche. Mille hommes, qui avaient déjà pris position sur la rive droite, furent enveloppés et obligés de se rendre. Pendant un mois entier, suppléant par la rapidité de ses mouvements à l’inégalité de ses forces, ce grand capitaine empêcha tour à tour les Milanais de s’approcher du fleuve, et les Vénitiens de s’établir sur la rive droite. Enfin, au commencement de février 1430, ils effectuèrent décidément le passage : mais ils n’osèrent se commettre avec un ennemi si redoutable ; et, se flattant que la disette le forcerait à quitter la position intermédiaire où il s’était retranché, ils restèrent dans l'inaction. X. Cependant Milan était aux abois. Bien ne pouvait y entrer, personne ne pouvait en sortir : la mesure de blé s’y vendait dix ducats d’or. Cette nombreuse population était reduite à tou tes les horreurs de la famine (1430). Les provéditeurs vénitiens et Sigismond Mala-lesta, seigneur de Bimini, qui commandait l'armée de la république, trouvaient des raisons pour ne pas s’ébranler. Leur position était bonne ; leurs subsistances étaient assurées; un combat pouvait leur