400 HISTOIRE DE VENISE. Alvianc aperçut de la rive droite, la cavalerie espagnole prenant cette direction, il s’empressa de la suivre, en marchant parallèlement à elle : mais l’infanterie espagnole, par un mouvement contraire, descendit plus bas , passa la Brenta à un gué, rappela sa cavalerie, et se porta rapidement sur le Bac-chiglione, qu’il fallait aussi franchir. Àlviane fit une telle diligence, qu’il arriva encore à ce passage avant les ennemis. Ceux-ci, désespérant de le forcer, prirent le parti de retourner sur leurs pas, de remonter la Brenta jusque vers Bassano, dans le dessein de se jeter ensuite, par les montagnes, dans la vallée de l’Adige, pour regagner Vérone. Ils venaient de brûler leurs bagages. Un brouillard déroba leur mouvement à la vue des Vénitiens pendant quelques heures. AI-viane marcha à leur poursuite, les atteignit le même jour, qui était le 7 octobre , à deux milles de Vicence, près de la Motta. L’action s’engagea entre son armée et celle des Espagnols, exténués de fatigue et chargés de butin. On ne sait pas si ce furent les Vénitiens qui fondirent sur l’armée en retraite, ou celle-ci qui se retourna pour arrêter leur poursuite. On a fait un reproche à Alviane d'avoir attaqué les ennemis dans une position où il pouvait les forcer à se rendre sans combattre. Toutes les censures de ce genre sont très-hasardées. Le fait est que, dans quelque position que ce soit, pour se promettre quelque résultat d’une action, il faut avoir des troupes déterminées ; or celles de la république trompèrent, dans cette occasion, l’espérance de leur général. Elles lâchèrent le pied dès le premier choc, et abandonnèrent leur artillerie et leurs chefs. Paul Baglione fut fait prisonnier; Alviane se jeta dans Trévise, et le provédileur Grilti, poursuivi jusque sur les glacis de Vicence, ne se sauva qu’à l’aide d’une corde qu’on lui jeta pour escalader le rempart. L’autre provéditcur, qui était André Loredan , fut massacré. Cette bataille coûta quatre mille hommes aux Vénitiens, cl couvrit de gloire une armée qui, un instant auparavant, désespérait de son salut. Quand les troupes vénitiennes auraient été meilleures, lesEspagnols n’en auraient pas moins eu, de leur côté, le courage du désespoir, la nécessité, la dernière et la plus forte de toutes les armes, comme dit Tile-Live. XI. Ni ce grand revers de la fortune, ni la perle de la place de Marano, qu’un traître de moine livra, vers ce lemps-là, aux Autrichiens, ni un incendie qui consuma bientôt après le quartier le plus marchand de Venise; rien n’ébranla la constance du sénat. Il lui restait trois hommes, qui, sans pouvoir réparer les malheurs de la patrie, soutenaient du moins sa gloire. L’un était Renzo da Ceri, gouverneur de Creme; l’autre le comle de Savorgnano, lu’n des seigneurs du Frioul dévoués à la république; et enfin Alviane, dont la seigneurie avait encore redoublé l’ardeur, en l’assurant qu’elle ne lui imputait point ses revers. C’est un exemple trop rarement suivi dans les temps de désastres, et surtout chez les gouvernements républicains, de soutenir le courage des généraux malheureux en leur témoignant de la confiance. L’unanimité des sentiments sauva la république, au milieu des plus grandes disgrâces, et fit taire toutes les passions,excepté l’enthousiasme national. Au moment où l’on était obligé de lever des soldais dans Venise, d’enrégimenter les artisans, de faire marcher les ouvriers de l’arsenal pour la défense dePadoue, on ne négligea point ce qui pouvait exalter le ressentiment du peuple. On lui racontait, ce qui était vrai, à la honte de l’humanité, que les Autrichiens faisaient crever les yeux, ou couper les pouces, aux paysans du Frioul qui refusaient de se soumettre. On donna même à la populace de Venise une occasion d’assouvir sa vengeance : le prêtre qui avait vendu Marano ayant été pris, le gouvernement livra ce misérable au peuple, qui le lapida sur la place Saint-Marc. Cetle manière d’exalter les sentiments populaires avait sans doute des inconvénients, mais on avait besoin de porter l’énergie jusqu’à la fureur. Trois mois après la bataille de la Molta, le 13 janvier 1U14, un nouveau désastre vint consterner Venise. Un incendie , qui prit naissance dans quelques boutiques du pont de Rialte, fut porté, par un vent du nord, sur le quartier le plus populeux de cette capitale et consuma deux mille maisons. Malgré ces pertes immenses, la république sut trouver encore des ressources, et créer une nouvelle armée. Tandis que Savorgnano soutenait les efforts de l’ennemi dans lé Frioul, renouvelait ses tentatives sur Marano, et méritait le surnom d'Osopo, parla belle défense de ce château; tandis que Renzo da Ceri, gouverneur de la seule place que la république possédât au delà de l’Adige, faisait des excursions de tous côtés, enlevait des convois, des détachements , et reprenait Bergame ; Alviane, qui se trouvait déjà à la tête de quelques troupes, se portait tour à tour à Padoue, à Trévise, pour les meltre en état de braver tous les efforts de l’ennemi ; sur la Livenza , pour débloquer le château d’Osopo, batlre les Autrichiens, et reconquérir Porto-Gruaro , Udine , Belgrado, Monte-Falcone; enfin vers le Pô , où il enlevait, sous les yeux de l’armée espagnole, les places d’Este et de Camisano, poussait des détachements jusque sur Vérone, et forçait les ennemis de lui abandonner la Polésine de Rovigo.