LIVRE XXI. 533 imprenable. Gènes affecta de se soumettre avec joie ; c’était la quatrième ou cinquième fois qu’elle passait sous le joug des Français. Quant à Crémone, la reddition de cette place ne fut différée de quelques jours que parce que les habitants avaient en horreur le gouvernement vénitien. Ils se bornaient à solliciter le roi de les recevoir sous son obéissance; niais Louis voulut tenir les engagements qu’il avait pris avec la république. 11 exigea que Crémone se soumit. Le gouverneur du château n’attendit pas môme, pour se rendre, qu’on lui fit l’honneur de l’attaquer, et sa trahison fut constatée par le don que lui fit la république de propriétés considérables, et par l’inscription de son nom sur le livre d’or. Ce nom était Pierre Antoine Bretoléa. VII. Louis XII s’était avancé jusqu’à Lyon pendant que son armée faisait la conquête, ou plutôt l’invasion de la Lombardie. Dès qu’il eut appris les succès de ses armes, il vint prendre possession de ce duché, et se prépara à porter ses forces dans le royaume de Naples, dont il méditait la conquête pour l’année suivante. Afin d’entrctenirlepape dans de favorables dispositions, il lui prêta quatre mille Suisses, avec lesquels César Borgia se mit à envahir Faenza, Forli, Imola, Rimini et quelques autres villes de la Romagrie, qui appartenaient à divers seigneurs, vassaux ou vicaires de l’Église. Ce n’était pas pour accroître le domaine du saint-siége, que le pape entreprenait cette conquête; c’était dans la vue de former une principauté pour son insatiable fils. Les Vénitiens tenaient Ravenne et Cervia, dans la Romagne. Leurs prétentions sur ces deux places n’étaient pas plus légitimes qu’anciennes. Ils sentaient bien que si celles de César Borgia ne s’étendaient pas encore jusque-là, c’était uniquement parce qu’il était forcé de garder des ménagements avec la république ; mais il pouvait devenir un voisin dangereux, et, à tous égards, il convenait bien mieux aux Vénitiens de voir les places de la Romagne dans la main de plusieurs seigneurs faibles, jaloux l’un de l’autre, inquiets de l’ambition du pape, et, par conséquent, toujours disposés à se mettre sous la protection do la république. La seigneurie était donc intéressée à s’opposer à l’entreprise de César Borgia ; mais scs forces se trouvaient occupées ailleurs. L’armée de terre prenait possession de Crémone et de la partie du Milanais cédée à la république par le traité de Blois. Toutes les autres troupes avaient à défendre les places de la Morée, car on était alors dans le fort de la guerre contre les Turcs. Il fallut donc que les Vénitiens se résignassent à demeurer spectateurs des conquêtes qu’allait faire le fils du pape. Je n’ai garde d’entreprendre le récit de la guerre par la- quclle César Borgia soumit la Romagne. Cemonslre a trouvé un historien qui a pris soin d’exalter beaucoup son habileté, mais qui rapporte quelquefois des horreurs avec cette froide indifférence aux yeux de laquelle il n’y aurait d’odieux que les crimes qui ne réussissent pas. VIII. Le roi, après avoir fait ses dispositions pour la campagne prochaine, retourna en France, laissant le gouvernement de son nouveau duché à Jean Jacques Trivulce, général milanais, qui, quelques années auparavant, avait passé du service de Na-ples à celui de France. C’était un homme de guerre d’une grande réputation; mais ce fut une faute de lui confier l’autorité dansson propre pays. Il l’exerça avec passion, et excita bientôt un mécontentement si général, que Louis Sforce fut regretté. Ce prince, averti par ses partisans de la disposition des esprits, passa rapidement les Alpes, avec huit mille Suisses et cinq cents gendarmes, qu’il était parvenu à réunir, surprit la ville de Còme, et s’avança vers Milan. Trivulce, se jugeant trop faible pour lui résister et pour contenir à la fois une population prête à se révolter, se retira sur Novarre. 11 fut, dans sa retraite, poursuivi par le peuple jusqu’au Tésin. Parme, Pa-vie, Tortone, rentrèrent sous l’obéissance du duc. Il n’avait fallu que trois semaines aux Français pour conquérir la Lombardie, il ne leur en fallut pas davantage pour la perdre. Quelques villes éloignées, comme Alexandrie, furent les seules qu’ils purent conserver. Quant aux Vénitiens, ils se maintinrent en possession de celles dont ils s'étaierit rendus maîtres, et même de Plaisance et de Lodi, où ils avaient jeté garnison à l’approche du duc. Louis Sforce leur envoya demander la paix, en les priant d’en dicter les conditions ; mais ils ne voulurent point s’écarter du traité qui les liait avec la France. On peut cependant présumer que, maîtres de la partie du duché qui leur avait été promise, ils auraient pu voir sans regret les Français perdre l’autre; aussi les accusa-t-on de n’avoir secouru Trivulce que lentement. On remarqua même que, sous prétexte de garder le passage de l’Adda, ils se jetèrent dans Pizzighitone, dont ils se hâtèrent de démolir les fortifications, pour ne la rendre que démantelée quand ils seraient obligés de s’en dessaisir. IX. A la nouvelle de ces événements, le roi renforça son armée d’Italie de quinze cents gendarmes cl de seize mille hommes d’infanterie, parmi lesquels il y avait dix mille Suisses. Le duc avait emporté Novarre, et s’y était jeté avec les huit mille hommes de la même nation qu’il avait à sa solde. Il y fut bientôt investi. Séduits par l’argent des Français, ces mercenaires le trahirent ou au moins l’abandonnèrent : ils refusèrent d’abord de combattre,