LIVRE PREMIER. « bares, commencèrent leurs ravages par la Vénétie. Ce lut une nouvelle cause d’accroissement de population pour la république insulaire (îS6j). Los habitants d’Oderzo se réfugièrent à Jézulo, où ils fondèrent la ville d'Héraclée. Ceux d’Altino se jetèrent dans Torcello, ceux de Concordia à Caorlo; et l'adoue qui, après être sortie de ses ruines, venait d’être détruite une seconde fois, vit scs citoyens contraints d’aller implorer un asile à Rialte. II n’y eut plus d’espoir de retour. Les Lombards s’établirent dans le pays qu’ils venaient d'envahir. Les petites îles qui environnaient Rialte se peuplèrent. La religion catholique étant persécutée par les Lombards,qui étaient ariens, plusieurs évêques allèrent s’établir dans les Iles. AV. Le patriarche d’Aquiléc s’était réfugié à Grado : le roi des Lombards voulut qu’Aquilée eût un patriarche, cequi produisit un schisme, et, vingt-cinq ans après, en G30, le patriarche de terre ferme lit une descente à Grado, tua ce qui lui résista, pilla la cathédrale, et revint à Aquilée chargé de butin. C’était une guerre de pirate, et cette haine entre les deux archevêques devait durer plus de six cents ansBBOS). Ces Lombards n’avaient aucune habitudedu commerce ni de la navigation. L’industrie vénitienne tenait à quelques égards ces conquérants dans la dépendance de la république. La même différence se remarqua entre les Vénitiens et les Francs, qui renversèrent bientôt après le trône des rois lombards. Un historien, contemporain de Charlemagne, compare les vêtements grossiers de ce monarque et de scs courtisans avec la pourpre de Tyr, les étoffes de (oie, les plumes que les marchands de Venise apportaient des ports de Syrie, de i’Arcbipel et de la mer Noire. ■.es événements qui pouvaient intéresser particulièrement la nouvelle république, pendant les deux on trois premiers siècles de son existence, n’ont pas été recueillis. Une ville naissante, pauvre, toujours dans les alarmes, ne devait pas attirer l’attention des historiens étrangers, et ne pouvait pas en trouver parmi scs habitants. fflKVI. Cependant l'accroissement de la nation avait amené une diversité d’intérêts. Il avait augm:nlé l'importance des magistrats; ceux-ci en abusèrent, le mécontentement éclata, les partis se formèrent, et ces divisions menaçaient d’entraîner la perte de h république. L’assemblée de la nation fut convoquée a Iléraclée pour remédiera ce danger. On était généralement irrité contre les tribuns, qui administraient les affaires de l’État depuis près de trois sièèles. In pouvoir divisé entre tant de mains se trouva trop faible à une époque où la république s’était accrue, où sa prospérité lui avait fait des en- nemis, et où l’approche du danger, l’inégalité des richesses, la rivalité des ambitions, faisaient fermenter tant de passions. On était bien décidé à changer cette forme du gouvernement. Elle maintenait la liberté, mais elle compromettait l’indépendance nationale. Christophe, patriarche de Grado, ouvrit l’avis de concentrer le pouvoir dans la main d'un chef unique, à qui on donnerait, non le titre de roi, mais celui de doge, c'cst-à-dirc duc. Cette proposition fut vivement accueillie, et on procéda sur-le-champ à l’élection de ce chef. On verra que le dogat sauva l’indépendance, et compromit la liberté. C’était une véritable révolution; mais nous ne savons point par quelles circonstances elle fut amenée. Plusieurs historiens disent que ce changement n’eut lieu qu’après que les Vénitiens eu eurent obtenu la permission du pape et de l’empereur. Les suffrages se réunirent sur Paul-Luc Anafeste, d'Héraclée, l’an 097 de l'ère chrétienne. Ou dit que le choix fut fait par douze électeurs, dont il est juste de rapporter les noms, parce que plusieurs sont devenus illustres : Contarini, Morosi, Radoaro, Tiepolo, Michieli, Sanudo, Gradenigo, Mcmmo, Falieri, Dandolo, Polani et Rarozzi. Ainsi Venise passa en un jour de l’état de république démocratique, à celui de monarchie élective. Le doge était à vie. Il avait des conseillers, mais il les nommait; il pourvoyait à toutes les charges, prenait la qualité de prince,cl décidait seul de la paix et de la guerre. Les historiens vénitiens sc sont fait un point d’honneur de prouver que, par ce changement, Venise n'avait perdu ni son titre de république, ni sa liberté. Ceci ne serait qu'une dispute de mots : qui gouverne seul est un monarque; la liberté n’est pas impossible dans la monarchie, ni la tyrannie dans la république : Venise ellc-mèinc nous fournira l’un et l’autre exemple. Pour se faire une idée assez exacte de la puissance du doge au moment de cette création, il suflit de jeter les yeux sur ce passage d’André Dandolo, au sujet des prérogatives ducales : « On décréta unanimement que le duc gouvernerait seul : qu’il aurait le pouvoir de convoquer l’assemblée générale da^s les affaires importantes, de nommer les tribuns, de constituer des juges, pour prononcer dans les causes privées, tant entre les laïques qu’entre les clercs, excepté dans les affaires purement spirituelles. C’était devant le doge qu’on en appelait lorsqu’on se croyait lésé. C'était par son ordre que les assemblées ecclésiastiques avaient lieu. L’élection des prélats se faisait par le concours du clergé et du peuple, mais ils recevaient l’investiture du duc et n’étaient intronisés que sur son ordre. >> Ce passage ne parle point du droit de faire la paix et la guerre; mais les exemples ne nous manqueront