128 HISTOIRE DE VENISE. hic répandit la terreur dans les parages de l’Adriatique. Venise ignorait où était l’armée qui aurait pu la défendre, et se trouvait exposée aux attaques d’un ennemi audacieux. On apprenait tantôt que les Génois étaient sur la côte d’istrie, tantôt qu’ils avaient intercepté des bâtiments de commerce richement chargés, le lendemain qu’ils se dirigeaient sur Venise, qu’ils ravageaient las côtes opposées, enfin qu’ils avaient pris et mis en cendres la ville de Parenzo, au fond du golfe. Toute la population de Venise était sous les armes. La milice veillait sur les bancs de sable les plus avancés dans la mer. L’effroi qu’inspira l’approche des Génois fut tel que la capitale n’osa plus s’en lier à ses vaisseaux du soin de sa défense contre une agression étrangère, et qu'une forte chaîne de fer fut tendue entre les deux châteaux qui gardent la passe du Lido. (lue multitude de petites embarcations étaient envoyées de tous côtés pour observer les mouvements de l’ennemi, pour en porter l’avis sur les points menacés, et l’on expédiait, coup sur coup, des bâtiments à l’amiral vénitien pour l’appeler au secours de la capitale. Pisani arrivait à toutes voiles; mais Doria, qui n’avait pas à beaucoup près des forces suffisantes pour tenter une entreprise sérieuse contre une ville comme Venise, venait de sortir de l’Adriatique sans le rencontrer. Ce fut au milieu de ces circonstances que, le 7 septembre 13S4, mourut le doge André Dandolo, laissant un honorable souvenir de scs vertus, de sa sagesse, de ses lumières, et un recueil de lois qui porte son nom. Il fut le dernier prince de Venise enterré dans l’église de St.-Marc. Le sénat ordonna qu’à l’avenir les doges choisiraient ailleurs leur sépulture. Peut-être est-ce à la mort tragique du successeur de Dandolo qu’il faut attribuer ce règlement. Ces deux grands hommes de mer, qui depuis quelques années balançaient la fortune de Venise et de Gênes, Pisani et Doria, parcoururent les eaux de la Sicile sans avoir occasion d’engager un combat général. Pendant ce temps-là les négociations avaient été reprises. Le gouvernement vénitien voulait traiter avec avantage; il attendait les événements, et cependant il avait recommandé à son amiral de ne pas se compromettre. Pisani, pour faire reposer ses équipages, et radouber ses vaisseaux, relâcha dans le port de Sa-pienza, petite ¡le à la pointe de la Murée. Ce port, très-profond, présentait une ouverture assez large que l'amiral voulut garder lui-même avec vingt galères et six gros vaisseaux, tandis que le reste de ses galères, au nombre de quinze, et tous les bâtiments de charge étaient au fond du port, sous le commandement de Morosini, son lieutenant. XXI. Doria sortait dans ce temps-là de l’Archi-pel pour retourner à Gènes, où les ordres du sénat le rappelaient. Ses vaisseaux légers l’avertirent que la flotte ennemie était dans le port de Sapienza. Il se présenta, le 3 novembre, à l’entrée de la rade, tâchant d’attirer les Vénitiens par des provocations; mais Pisani n’avait garde d’accepter un combat dans lequel il n’aurait pu déployer toutes ses forces. L’audace des Génois ne lui permit pas de l’éviter. Tout à coup Jean Doria, neveu et lieutenant de l’amiral, faisant force de voiles et de rames, s’avança rapidement avec sa galère, et passa entre la côte et le dernier vaisseau des Vénitiens. En un instant il fut suivi de douze autres, et les treize galères, entrées dans la baie, se portèrent rapidement au fond du port, tandis que le reste de l’escadre génoise attaquait de front la ligne des vaisseaux de Pisani (1384). Ceux de Morosini n’étaient pas en ordre de bataille, quelques-uns étaient en radoub; une partie des équipages se trouvaient à terre. Cette attaque imprévue jeta dans cette division de l’armée l’effroi et la confusion. La manœuvre de Jean Doria avait été téméraire; sa victoire fut facile. Les matelots, pour lui échapper, se précipitaient dans la mer. 11 s’empara de tous les vaisseaux de Morosini, et vint, après y avoir mis le feu, attaquer par derrière la ligne de Pisani, qui était aux prises avec toute l’armée génoise. Quatre mille hommes avaient déjà été tués soit au fond du port, soit à l’entrée de la rade. Le reste se rendit, et Doria amena à Gènes une trentaine de galères capturées, et cinq mille huit cent soixante-dix prisonniers, parmi lesquels était le redoutable Pisani. Cet événement convainquit les Vénitiens de la faute qu’ils avaient faite de ne pas terminer les négociations de la paix dans un moment où la fortune leur était favorable. Ils tremblèrent que la flotte victorieuse n’entrât une seconde fois dans l’Adriatique; heureusement ils surent bientôt qu’elle avait pris une autre direction. Les ressources de la république étaient tellement épuisées que l’on fut obligé de recourir a de nouveaux emprunts; mais il ne restait pas une galère dans le port; quatre citadins patriotes en armèrent chacun une à leurs frais. Ils méritent d’autant plus que leurs noms soient conservés par 1 histoire, qu'on ne voit pas que cet exemple ait été suivi par les plus riches patriciens. Les noms de ces citoyens étaient Marin Fra-dello, Beat Vido, Pierre Nani, et Constantin Zu-cholo. Un tel armement pouvait tout au plus repousser quelques vaisseaux armés en course, et était trop insuffisant pour inspirer de la sécurité.