# HISTOIRE DE VENISE. 20G nom était Attendolo, étant occupé à travailler à la terre, vit passer des recruteurs, qui lui proposèrent de s’engager ; il hésitait, et, comme dans les mœurs de ce siècle la superstition trouvait place partout, il voulut consulter le sort sur le parti qu’il avait à prendre. « Je vais jeter ma pioche sur ce chêne, dit-« il; si l’arbre la retient, c’cst signe que Dieu veut « que je me fasse soldat. » La pioche resta dans les branches; le paysan s’enrôla dans une compagnie d’aventure, devint condottière, général illustre, prince; et son petit-fils disait à Paul Jove, dans le palais de Milan: « Vous voyez bien ces trésors, ces « gardes, cette pompe; je dois tout cela à la bran-« che du chêne qui retint en l’air la pioche de mon « grand-père. » Tous ces capitaines conduisaient des compagnies plus ou moins nombreuses de cavaliers couverts de fer. Cette cavalerie était considérée comme la principale force des armées; on méprisait encore l’infanterie, on oubliait ce qu’elle avait été chez les anciens. C’était dans l’infanterie qu’on jetait les milices. On n’en avait pas même un nombre proportionné à celui des troupes à cheval. L’armée vénitienne, dans cette guerre, n’avait que huit mille fantassins sur seize mille gendarmes. Celle du duc de Milan était à peu près d'égale force. De part et d’autre, 011 prodigua les trésors pour rassembler des gens de guerre et des chevaux. On compta jusqu’à soixante-dix mille combattants dans une petite province; et l’artillerie, dont 011 n’avait pas encore perfectionné l’usage, était, par cette raison, tellement multipliée, que les Milanais perdirent jusqu’à cent soixante-dix-huit pièces de canon dans un de leurs camps. Ces circonstances expliquent le peu de mobilité des armées, la difficulté de les faire subsister et de trouver un terrain pour combattre. XIII. Les troupes de Visconti étaient encore dans la Romagne. Carmagnole voulut profiter de leur absence, et commencer scs conquêtes par l’essai d’une séduction qui devait lui livrer Brescia (1426). Cette place, ancienne colonie romaine, ravagée par les barbares qui envahirent successivement l'Italie, avait ensuite fait partie du royaume deLom-bardie, dont elle avait partagé les vicissitudes. Elle était entrée dans la ligue des villes qui s’étaient confédérées pour s’affranchir du joug de l’empereur Frédéric Barberousse. De là résultèrent pour elle la nécessité et le malheur de prendre part à toutes les discordes excitées en Italie par l’ambition rivale des empereurs et des papes. Elle arbora tour à tour l’étendard des Guelfes et des Gibelins. Elle fut cruellement châtiée par l’empereur Henri VI, qui l’avait même condamnée à voir passer la charrue sur ses murs; ensuite elle tomba sous la domination des princes de la Scala, auxquels elle fut arrachée par le seigneur de Milan, allié, dans cette guerre, de la république de Venise. Adolphe Malatesla s’en était emparé pendant la minorité des fils de Galéas Vis-conti. Enfin, le duc Philippe-Marie l’avait recouvrée en 1421. il y avait donc à peine cinq ans que ce prince la gouvernait, et il ne parait pas que ce fût avec cette douceur qui peut seule concilier l’affection de nouveaux sujets. D’un autre côté, les factions guelfe et gibeline y subsistaient encore; et, par une suite de leurs anciennes haines, elles habitaient des quartiers séparés, qu’elles avaient même fortifiés par des enceintes de murs ; de sorte que cette ville était réellement formée de deux. Les guelfes occupaient la ville basse, les gibelins la ville haute, que plusieurs forts et la citadelle dominaient. Carmagnole avait conservé des relations avec le parti guelfe, ennemi de la maison de Visconti ; ceux avec qui il avait pratiqué des intelligences, parmi lesquels on comptait deux membres de la famille Avogadro, très-considérable dans le pays, lui promirent de lui ouvrir une des portes de la ville. Un détachement de ses troupes, que douze mille hommes suivaient de près, arriva tout à coup sous les murs de Brescia, dans la nuit du 17 mars 1426. La porte fut ouverte, les troupes vénitiennes se répandirent dans la ville basse, leurs partisans se joignirent à elles; mais la garnison milanaise se jeta dans les forts et conserva même les portes qui conduisaient de la ville guelfe à la ville gibeline. 11 restait donc à faire le siège de celle-ci, de tous les forts, de la citadelle, et en même temps il fallait songer à se défendre dans la ville guelfe qu’on occupait. Dès qu’on eut appris à Venise l’entrée des troupes de la république dans Brescia, on crut d’abord que Carmagnole était entièrement maître de la place; mais quand on sut qu’il avait encore plusieurs sièges à faire et en même temps un siège à soutenir, 011 désespéra du succès de cette entreprise; cependant on lui envoya en diligence toutes les troupes dont on put disposer, et les commandants de Vicence et de Vérone reçurent ordre de lui faire parvenir des secours. 11 allait en avoir besoin. Deux mille hommes de cavalerie, qui étaient à peu près tout ce qui restait des troupes milanaises dans la Lombardie, se portèrent sur-le-champ dans les environs de Brescia, pour tenter d’y pénétrer. Le duc avait rappelé son armée de la Romagne; elle s’avancait à grandes journées. Carmagnole profita de ce délai pour envoyer des détachements, qui s’emparèrent de quelques points fortifiés dans le pays vers le lac de Garde ; et pour se mettre en état de se tenir dans sa nouvelle position, il commença par séparer la ville qu'il occupait de la forteresse voisine, en creusant un fossé large et profond, qui