330 HISTOIRE DE VENISE. duché de Milan, que le roi venait de reconquérir, et dont il se préparait à réclamer les provinces défichées. Le roi n’avait qu’une fille encore en bas âge. L’empereur avait un petit-fils, à peine âgé de quinze mois. Cet enfant devait hériter des États de la maison d’Autriche, qui appartenaient à son père et à son grand-père ; des États de la maison de Rour-gogne, par sa grand’mère, Marie de Bourgogne, femme de Maximilien ; de l’Espagne, de la Sicile et de la moitié du royaume deNaples, par Jeanne, sa mère, fille de Ferdinand d’Arragon et d’Isabelle de Castille. Cet enfant, qu’on appelait alors le comte de Luxembourg, fut depuis l’empereur Charles-Ouint. Le cardinal d’Amboise proposa de marier l’héritier de tant de couronnes avec la fille de Louis XII, à qui on assurait pour dot le duché de Milan et la Bretagne, si le roi mourait sans enfants mâles nés de la reine Anne. C’était sans doute une faute de préparer d’avance l’agrandissement d’un prince qui devait être si redoutable. Maximilien accueillit avec empressement une proposition qui procurait à sa maison un trône de plus en Italie. Il ne pouvait faire aucune difficulté de consentir à laisser dépouiller les Vénitiens de tout ce qu’ils avaient acquis dans le Milanais; mais il disputa tellement sur les termes de l’investiture sollicitée par Louis XII, et il se refusa si opiniâtrément à consentir à ce que le duché de Milan passât aux enfants du roi, dans le cas où le mariage du prince d’Aulriche et de la princesse de France serait stérile, que, malgré toute l’impatience et toutes les concessions du négociateur, qui était le cardinal d’Amboise, le traité ne pùt être conclu pour cette fois. L’impatience du cardinal provenait de ce qu’il y avait, dans ce projet de traité, une clause qui rapprochait le terme où tendait son ambition. L’empereur, qui n’en ignorait pas l’objet, lui avait proposé la convocation d’un concile général, pour réformer l'Église, dont le chef était, depuis longtemps, un sujet de scandale et un objet d’horreur. Ce concile devait prononcer la déchéance d’Alexandre VI ; et, quoique ce pontife fût déjà septuagénaire, l’ardeur de George d’Amboise ne lui permettait pas d’attendre la mort du pape pour ceindre la tiare. XII. Les i rançais et les Espagnols étaient à peine en possession des provinces qu’ils s’étaient distribuées dans l’Italie méridionale, que des contestations s’élevèrent pour la fixation des limites, et chacune des deux puissances déployant l’appareil des armes pour soutenir ses droits, 011 ne tarda pas à commettre des hostilités. Pendant que cet orage se formait dans le midi, les affaires se compliquaient dans le nord de l’Ifa- lie. Les Suisses, qu’on avait congédiés, après la conquête du Milanais, avaient réclamé inutilement un supplément de paye, qu’on prétendait ne leur être pas dù. En retournant dans leurs montagnes, ils passèrent à Belinzona, ville dépendante du duché de Milan, et s’en emparèrent, à titre de nantissement de la somme qu’ils exigeaient. Quelque temps après, ils revinrent au nombre de quinze mille, et attaquèrent la frontière du duché. O11 parvint cependant à les arrêter, mais on leur céda Belinzona, et on remarqua, dans cette circonstance, que les troupes vénitiennes, dont on avait réclamé le concours, en vertu du traité d’alliance subsistant entre la France et la république, avaient eu soin d’arriver assez lentement pour ne prendre aucune part à cette guerre. XIII. César Borgia n’était pas satisfait d’avoir ajouté le titre de duc de Romagne à celui de duc de Valentinois. Bear^oup de courage, d’habileté et de scélératesse lui avaient acquis, en peu de temps, un État déjà considérable, lise jetait sur tout ce qui était à sa convenance : Bologne, Sienne, Florence, l’avaient vu à leurs portes. Il s’étaitemparé du duché d’Urbin par une perfidie. Le roi, pour qui c’était déjà une honte d’avoir reçu César Borgia dans son alliance, ne put consentir à se déshonorer, en lui permettant de continuer ses brigandages. Il témoigna une vive indignation contre le père et le fils. Aussitôt tous les princes, et toutes les villes d’Italie, se hâtèrent de profiter de cette disposition, pour former une ligue, à la têle de laquelle on suppliait le roi de se placer. Mais la politique du cardinal d’Amboise ne permit pas à Louis XII de réaliser ses menaces. Ce ministre, quelque impatient qu’il fût de supplanter le pape, sentait qu’il n’avançait point ses propres affaires en le renversant à main armée; il voulait être maintenu dans sa mission de légat à latere; il voulait se faire des créatures dans le sacré collège, en faisant nommer quelques cardinaux dévoués à ses intérêts, et en se constituant le protecteur du saint-siège. En conséquence, lorsque César Borgia arriva à Milan, pour s’excuser auprès du roi des usurpations qu’on lui reprochait, Louis le reçut avec des démonstrations de joie et lui fit rendre des honneurs extraordinaires; « ce qui lui « attira, dit Mézerai, la haine de toute l’Italie; et « peut-être la malédiction de Dieu, avec lequel on « ne peut être bien, quand on est en société avec « les méchants. » On avait été étonné de cette réconciliation, on fut indigné quand on apprit que le roi venait de conclure avec Borgia un traité, par lequel il approuvait que cet ambitieux s’emparât de Bologne. Cette résolution fut notifiée aux Bolonais eux-mêmes de la part du roi; mais il est bon d’ajouter que cc fut