36 HISTOIRE DE VENISE. et la révolte de quelques villes tic l’islric auxquelles il imposa de nouveaux tributs (1148). Sous son règne, l’évêché de Zara fut érigé en archevêché, et trois ans après, en 1158, par une décision du pape Adrien IV, le patriarche de Grado étendit sa juridiction sur tout le territoire de celte nouvelle métropole. Telle était déjà l’importance des établissements vénitiens dans le Levant, que le patriarche fut autorisé à ordonner les évêques pour toutes les colonies de la république où il y aurait plus d’une église. XLV. Morosini mourut après un règne de huit ans. Son successeur fut Vital Michieli II. L’administration de celui-ci fut marquée par de terribles revers (11SS6). Il y avait alors deux papes. L’empereur d’Occi-dent, Frédéric liarberousse, protégeait Victor IV, et les Vénitiens, qui n’avaient garde de favoriser la domination de l’empereur en Italie, tenaient pour Alexandre III, dont l’élection paraissait d’ailleurs plus régulière. Les Milanais tâchaient de secouer le joug de l’empereur; Venise leur envoya des secours. Les milices de Padoue, de Vicence, de Fer-rare et de Vérone, se jettent par l’ordre de l’empereur sur le territoire de Capo-d’Argéré et de Lorédo, et mettent ces deux villes en cendres. Les troupes vénitiennes accourent pour punir cette agression. Predant ce tcmps-là IJlric, patriarche d’Aquilée, héritier de la haine de tous ses prédécesseurs contre l’église de Grado, haine qui durait déjà depuis six ou sept cents ans, fit avec tous scs chanoines une nouvelle expédition sur cette île, pilla jusqu’à la métropole, et se préparait à se rembarquer avec son butin , lorsqu’il se vit environné par des vaisseaux vénitiens, et se trouva leur prisonnier. Pour racheter sa liberté, il fut obligé de se soumettre à un tribut qui devint un objet éternel de dérision, et qui servit à entretenir dans le peuple la haine et le mépris pour le patriarche d’Aquilée. Tous les ans, le jeudi gras, il devait envoyer à Venise un taureau et douze porcs, représentant le patriarche et ses douze chanoines : 011 les promenait en pompe dans la ville, on leur coupait la tête en présence du doge, et on en distribuait les quartiers. Celle fête populaire a subsisté jusqu’à ces derniers temps. Des affaires plus sérieuses allaient mettre à l’épreuve la prudence du doge (1165). XLVI. Manuel Comnène cherchait à détruire ou à affaiblir, l’un par l’autre, le roi de Sicile et la république; il s’adressa d’abord à Guillaume, roi de Sicile, pour l’exciter à armer contre les Vénitiens, et lui offrit sa propre fille pour prix de celte agression. Celle négociation n’ayant eu aucun succès, il envoya des ambassadeurs à la république, pour lui exposer toutes les raisons qui pouvaient la détermi- ner à s’unir avec lui contre le roi; mais les Vénitiens venaient de s’assurer, par un traité, le commerce de la Sicile, et n’étaient nullement disposés à en compromettre les avantages. Le refus ne pouvait que blesser l’empereur. I,e doge, qui en craignit les conséquences, envoya des ordres à tous les vaisseaux qui étaient dans les ports de la Grèce et à tous les sujets de la république établis sur le territoire de l'empire, d’en partir sur-le-champ. Ces établissements s’étaient répandus sur tous les points, il y en avait jusqu’au fond de la mer Noire. Le départ de tous les négociants et de tous les navires vénitiens servit de prétexte à Manuel pour envoyer en Dalmatie une flotte, qui s’empara de Spalato, de Trau, de Raguse, et de Corcyre ; cependant il fit dire par ses ambassadeurs que cette mesure ne devait point être considérée comme une déclaration de guerre. Il n’avait pu être insensible à l’inlenlion manifestée de rompre tout commerce avec lui, mais si les Vénitiens voulaient rétablir les choses sur le pied où elles étaient auparavant, il était prêt à leur rendre son amitié ; il ne leur demandait que de revenir occuper dans ses Étals des établissements qui leur avaient été jusques alors si avantageux; les villes de la Dalmatie que ses troupes avaient occupées seraient immédiatement rendues et toutes les pertes réparées. Ces explications ne justifiaient pas assurément l’usurpation à main armée de quatre places. Il était de la dignité de la république d’exiger avant tout cette restitution et une réparation éclatante; mais l’interdiction des mers de la Grèce à tous les vaisseaux vénitiens, l’abandon des comptoirs, l’inter-ruplion totale du commerce avec l’Empire, avaient tari la source des bénéfices auxquels les négociants étaient accoutumés : l’esprit de trafic n’est pas toujours d’accord avec les véritables intérêts et la dignité de l’État; le commerce murmurait contre les mesures rigoureuses qui l’avaient paralysé. Ces criailleries déterminèrent une résolution qui lui devint bien funeste à lui-même, et plus encore à la république. Les ordres dont on se plaignait furent révoqués; les négociants, et des vaisseaux richement chargés, partirent pour tous les points de l’empire grec. Manuel attendait sa proie; il ordonna partout de les saisir, et tous les Vénitiens furent jetés dans les fers. L’impartialité de l’histoire veut qu’on ajoute que les Grecs ont présenté cet événement sous d’autres couleurs. « Les Vénitiens, dit l’un d’eux, ces peuples fins et subtils qui courent sans cesse toutes les mers, s’étaient tellement multipliés et enrichis à Conslanlinople, qu’ils s’y monlrèrenl insolents jusqu’à affecter du mépris pour l’Empire. Manuel,