LIVRE XXIV. 59li cats au roi d’Arragon ; mais, mécontents de ce que les Espagnols avaient pris possession de Brescia, ils cessèrent d’acquitter ce subside. La famille de Médicis profita de cette occasion pour prendre ces troupes à sa solde ; et Cardonne, leur général, se chargea de la honte d’ètre le destructeur mercenaire de la liberté de Florence. Les rois d’Angleterre et d’Arragon refusèrent d’entrer dans la nouvelle ligue qui venait de se former contre la république de Venise; le premier était trop éloigné pour prendre à cette guerre un véritable intérêt ; le second ne pouvait voir avec plaisir ni l’empereur acquérir des possessions en Italie, ni le pape étendre les siennes; il fit représenter à Jules que le danger dont on menaçait les Vénitiens, pourrait les forcer à se jeter entre les bras de la France. V. Cette puissance ne pouvait manquer de saisir toutes les occasions d’acquérir un allié : car les Anglais l’attaquaient au nord, les Espagnols au midi enlevaient la Navarre à Jean d’Albret, allié de Louis XII, les Suisses menaçaient la Bourgogne d’une invasion, et le pape venait de mettre le royaume en interdit (1315). Le maréchal de Trlvulce et le secrétaire-d’état Robertet, furent les premiers qui conseillèrent au roi de se réconcilier avec les Vénitiens, pour faire cause commune avec eux. C’était une alliance raisonnable, parce qu’elle était fondée sur un besoin réciproque. Trivulceenvoya à Venise, sous prétexte de quelques affaires domestiques, un homme de confiance qui fit des ouvertures au sénat; aussitôt le provéditeur Gritti, qui était resté prisonnier en France depuis la prise de Brescia, reçut des pouvoirs pour négocier, et un traité d’alliance fut conclu avec une promptitude qui prouvait combien chacune des deux parties le jugeait nécessaire. On n’eut à discuter qu’un seul point; c’était de savoir à qui appartiendraient Crémone et le pays situé entre l’Adda, l’Oglio et le Pô. Le roi les avait cédés aux Vénitiens lors de sa première alliance avec eux. Depuis , il avait formé la ligue de Cambrai pour les leur reprendre. Maintenant il y tenait plus fortement que jamais. Les Vénitiens, plus sages, sentirent que ce n’était pas encore le moment de se brouiller pour le partage de conquêtes qui n’étaient pas faites. On dit même que l’on signa des articles secrets pour s’arranger aux dépens d’autrui. La république renonçait à Crémone et aux bords de l’Adda, et le roi trouvait bon qu’elle se dédommageât par l’occupation des États du marquis de Mantoue, dont il promettait même de faciliter l’envahissement. Il fut convenu que le roi enverrait eu Italie une armée de quinze cents gendarmes, huit cents chevau-légers et quinze mille hommes d'in- fanterie; que les Vénitiens lui fourniraient huit cents gendarmes, quinze cents chevau-légers et dix mille hommes de pied. Cette nouvelle ligue était offensive et défensive. Les deux puissances s’engageaient à ne pas poser les armes que chacune ne fût rentrés en possession, savoir : le roi, du comté d’Asti, de Gênes et du Milanais; les Vénitiens, de toutes leurs anciennes provinces dans l’Italie septentrionale. Ils auraient bien voulu y faire comprendre la Romagne, et les cinq ports dans le royaume de Naples; mais Louis XII, qui voulait ménager encore le pape, et qui venait de conclure une trêve avec le roi d’Arragon, refusa absolument sa coopération aux Vénitiens pour le recouvrement de ces possessions. Ce traité fut signé à Blois, le 14 mars 1 iil3. VI. Le pape Jules II venait de mourir, le 21 février, en prononçant ces dernières paroles : « Les Français loin de l’Italie. » C’était un grand événement pour la Péninsule, que la mort de ce pontife, trop loué et trop blâmé, comme la plupart des souverains. Il avait embrassé avec ardeur le projet de délivrer l’Italie de toute domination étrangère, et il aurait eu la gloire de l’accomplir, s’il ne se fût livré en même temps à la passion d’agrandir le domaine de l’Église. On a dit de lui « qu’il n’eut des héros, « que leurs vices; des souverains, que leur faste; « des politiques, que leur fausseté; et que son nom « doit trouver place parmi les noms des méchants « qui n’ont inspiré que la haine, et à qui on ne doit « qne du mépris (1). » Ce portrait est d’une injustice odieuse. Jules II n’eut certainement aucune des vertus du sacerdoce. Né dans une condition privée, il se montra supérieur à la faiblesse de presque tous les pontifes qui ont cru illustrer leur nom en n’élevant que leur famille. Sa plus grande faute, en politique, fut peut-être de ne pas conserver les formes de l’apostolat. Rien n’en était plus éloigné sans doute que de se faire représenter sur des médailles, avec le bizarre contraste de la tiare sur la tête et d’un fouet à la main, chassant les barbares de l’Italie et foulant aux pieds l’écu de France, pour qu’on ne se méprît pas sur l’application (2). Le caractère dont il était revêtu ne permet pas de louer en lui les vertus guerrières ; mais, si on est dispensé de lui tenir compte d’un courage qui compromettait sa dignité, on ne peut s’empêcher de reconnaître ses grandes vues, et sa constance dans les revers. Très-inférieur à Louis XII par ses vertus, il ne prouva que trop, pour le mal-heurde laFrance, la supériorité de ses talents. Gui-chardin va peut-ctre trop loin, quand il dit que (1) Laugier, /list. de Venise, liv. 52. (Si; Monuments de la monarchie françoise, par Mont-FAUC03, t. IV, p. 1 15.)