388 HISTOIRE DE VENISE. hommes de pied italiens ; au centre, et un peu en arrière, le corps de bataille, composé de six cents gendarmes et de quatre mille Espagnols. Ce corps avait à sa droite plusieurs escadrons de gendarmerie, et l’autre moitié de l’infanterie espagnole. Enfin la cavalerie légère voltigeait du côté le plus éloigné de la rivière. Une chose digned’attention, dans les dispositions qui précédèrent cette balaille , c’est que Pierre Navarre, ce même officier qui, le premier, avait fait jouer des mines, dix ans auparavant, au siège des châteaux de Naples, et qui commandait ici l’infanterie espagnole, avait imaginé de faire monter sur des charriots des pièces de canon légères, pour les porter plus rapidement là où l’emploi pourrait en être utile. Cette innovation est beaucoup plus digne de remarque que les énormes boulets dont nous avons quelquefois parlé. Quand une invention est récente, on croit obtenir plus d’effet des machines en en augmentant les proportions; mais l’art ne se perfectionne que dans les mains de l’observateur judicieux, qui cherche à rendre ces machines plus simples, plus justes, plus maniables, et qui parvient à obtenir de plus grands résultats, sans exagérer les moyens. Fabrice Colonne, qui commandait l’armée du pape, avait été d’avis que l’on se précipitât sur les Français pendant qu’ils effectuaient le passage du Ronco; mais Pierre Navarre détermina le commandant en chef à les attendre sans sortir des relran-chements. Quand ils en furent à deux cents pas, ils s’arrêtèrent, et l’artillerie commença à jouer des deux côtés. Celle des alliés, tirant avec plus d’avantage, sillonnait la plaine et emportait des files de l’infanterie française. On resta deux heures dans cette situation ; deux mille hommes de cette infanterie étaient hors de combat avant que les deux armées se fussent approchées. Presque tous les capitaines tombèrent, notamment le capitaine Molard et le commandant des lansquenets, qui déjeunaient, pendant la canonnade, entre leur troupe et la batterie espagnole. L’aile droite de l’armée française donna. Une forte batterie du duc de Ferrare prit une position d’où elle enfilait la ligne ennemie. Canonnée par le flanc, l’infanterie des alliés se mit ventre à terre; mais les gendarmes restaient découverts , et étaient écrasés par les boulets. Colonne, indigné de voir tomber autour de lui tous scs gendarmes, sans qu’ils pussent tirer l’êpée, s’écria : « Faut-il périr ici sans vengeance, et cela par la malice d’un Maure! » C’était l’Espagnol Navarre qu’il désignait par cette épithète injurieuse. Aussitôt, sans attendre l’ordre du général, il s’élança hors des retranchements, et l'infanterie espagnole, se relevant fièrement, se vit obligée de descendre à sa suite dans la plaine. Alors la mêlée devint générale; l’impétuosité de Colonne et de la gendarmerie fut telle, qu’il s’ou-vrit un chemin au travers de l’infanterie française, et malgré les efforts du chevalier Rayard et de Gaston lui-même, qui ne purent l’arrêter, il pénétra au delà de la première ligne , jusqu’à la gendarmerie de la Palisse. Gaston fil accourir la réserve qu’il avait laissée dans son camp. Mais déjà la gendarmerie des alliés, qui avait beaucoup souffert, ne pouvait résister à la gendarmerie française. Le choc des troupes de réserve acheva de l’ébranler; elle prit la fuite. L’infanterie espagnole, abandonnée par sa cavalerie, qui avait engagé le combat, le soutint avec une extrême valeur. Elle enfonça les lansquenets, donna le temps de se rallier à l’infanterie italienne, qui avait été mise en déroute par les Gascons, repoussa plusieurs charges de la gendarmerie française; et lorsque, accablée par le nombre, elle désespéra de garder le champ de bataille, ellesedé-termina à faire un mouvement de retraite, mais en bon ordre, au petit pas, et s’arrêtant toutes les fois qu’elle était suiviede trop près. 11 y avait dix heures qu’on se batlait. Gaston tenait déjà la victoire; mais il la jugeait incomplète, si cette vaillante infanterie lui échappait. A la tôle d’un escadron de gendarmerie, il se précipita sur elle, pénétra au milieu des rangs, et y trouva la mort. C’est ainsi que périt, au milieu de si beaux trophées, un héros de vingt-deux ans, à qui une campagne de trois mois venait de mériter l’immortalité. Sa mort permit à l’infanterie espagnole d’achever sa retraite. Le reste des alliés fuyait en désordre; ils laissaient sur le champ de bataille sept mille morts, toute leur artillerie, leurs bagages et un grand nombre de prisonniers, entre lesquels les plus considérables étaient le cardinal de Médicis, NavarreetFabrice Colonne, réservés à l’humiliation de suivre à pied, non pas le triomphe, mais le char funèbre de leur vainqueur. XVIII. Ce fut une consternation inexprimable dans Rome quand on apprit la perte de la bataille; que Ravcnne avait succombé le lendemain;que les Français y avaient commis d’horribles cruautés et même des profanations, préludes de celles qu’ils réservaient à Rome ; que les débris de l’armée s’étaient sauvés jusque sous Crémone ; que beaucoup de seigneurs de l’État et de l’Église semblaient disposés à prendre parti pourles Français, et queceux-ci pouvaient parallre aux portes de la ville d’un moment à l’aulre. On a reproché à Jules 11 d’avoir confié sa fortune à des troupes auxiliaires, plus dangereuses encore que les mercenaires, parce que,