3:28 HISTOIRE DE VENISE. la vue d’éviter les guerres, elle ne se remarierait qu’avec le roi futur, ou, s’il y avait impossibilité, avec l’héritier présomptif de la couronne, qui, dans ce cas, serait tenu de faire hommage de la Bretagne au roi, et ne pourrait aliéner cette principauté en d’autres mains. On voit par ce contrat qu’Anne ne pouvait se dispenser d’épouser le successeur de Charles VIII, sous peine de se voir expropriée de son duché. Cette clause liait donc la duchesse trés-étroitement, et assurait irrévocablement la réunion de la Bretagne à la France. Il n’y est pas dit un mot des enfants, ni de la manière dont ils succéderont à la couronne de Bretagne. De tout cela, on est autorisé à conclure que Charles VIII, dans son contrat de mariage avec Anne de Bretagne, rappelait tous les droits ou toutes les prétentions de la France sur ce duché, et leur donnait môme une nouvelle force, en stipulant que la France n’y renoncerait, n’en suspendrait la poursuite, que tant que la duchesse serait femme du roi ou de son successeur. Veuve sans enfants, elle était tenue de se remarier à l’héritier présomptif, sous peine de se voirdépouillée de son duché ; veuve avec des enfants, elle conservait sa souveraineté ; mais que devenait cette souveraineté après elle? I.’acle ne l’explique nullement. On ne peut pas supposer que ce soit un oubli, au lieu qu’on peut très-bien admettre que les ministres de Charles VIII évitèrent les explications à cet égard. S’il naissait un fils de ce mariage, la réunion de la Bretagne à la France devenait légalement irrévocable ; si Charles VIII ne laissait que des filles, ces princesses ne pouvaient avoir aucun moyen de soutenir leurs droits contre le roi de France, successeur de leur père. A la mort de Charles, l’ancien amant de la duchesse devint roi; mais il n’était pas libre. Sa femme, Jeanne, fille de Louis XI, ôtait une princesse à qui on ne pouvait reprocher que la difformité du corps. La passion de Louis XII se réveilla dès qu’il entrevit la possibilité de la satisfaire. La conservation de la Bretagne lui parut une raison d'Élat su (lisante pour excuser aux yeux du public ce que pouvait avoir d’odieux la rupture des liens qui l’unissaient avec Jeanne. Mais on ne pouvait faire casser ce premier mariage sans recourir à l’autorité du saint-siège. Il ne s’agissait pas de vaincre les scrupules (|’un pontife tel que Borgia ; le dillieile était de satisfaire son avidité dans une occasion où l’on avait besoin de lui. On sait quel pape était Alexandre VI. Parmi ses nombreux enfants, le second, César Borgia, déjà archevêque do Valence et cardinal, était un homme plus vicieux encore que son père; on lui reprochait d’avoir fait assassiner son frère aîné, dont il était jaloux. Ennuyé de l’état ecclésiastique, quoique assurément il ne crût devoir s’imposer aucune retenue, il ne trouvait pas dans les honneurs de l’Église de quoi satisfaire son ambition. Sa passion était d’être prince souverain. Déjà son père, dont la faiblesse pour un tel fils était suffisamment expliquée par la conformité de leurs vices, s’était adressé à plusieurs princes, pour former à César Borgia un établissement tel que celui-ci le désirait. Il avait demandé au roi de Naples une de ses filles et la principauté de Tarente ; mais le roi n’avait osé accepter pour gendre un homme si dangereux. Le ressentiment du pape, l’ambition de son fils, et la passion de Louis XII, furent une source de malheurs pour l’Italie. Le conseil du roi, à la tète duquel se trouvait George d’Amboise, ce même prélat qui avait partagé ses disgrâces et obtenu toute sa confiance; le conseil du roi, dis-je, profita de l’avidité de César Borgia, pour obtenir du pape la dissolution du mariage de Louis XII. On donna à César une pension de vingt mille livres, une compagnie de cent lances, le duché de Va-lentinois en Dauphiné, et on lui promit de l’aider à conquérir la Romagne. m Ce n’était pas à beaucoup près de quoi satisfaire un scélérat qui avait pris pour devise, mit Cœsar, mil nihil; mais ce politique habile vit, dans l’avantage d’unir ses intérêts à ceux d’un roi de France, une perspective illimitée d’agrandissement. 11 ne fut pas difficile d’exciter dans l’esprit du roi le désir de reproduire toutes les prétentions qu’il pouvait avoir en Italie. Il succédait à celles de Charles VIII sur le royaume de Naples, et de son chef il avait des droits sur le duché de Milan, par Valen-tine Visconti, sa grand’mère, à qui la réversibilité de cette principauté avait été promise, à défaut d’enfants mâles. La ligne masculine des Visconti était éteinte, et par conséquent il y avait lieu à réclamer celte réversibilité. Il est vrai qu’il y avait trois opposants à cette prétention. L’empereur soutenait que ce duché était un fief mâle de l’empire; le roi de Naples le réclamait, à titre d’héritier institué par Philippc-Marie Visconti ; et enfin la maison de Sforce s’en était mise en possession. Tout cela n’empêcha pas Louis XII de prendre, à la cérémoniede son sacre, les titresde roi de France, de Jérusalem', de Naples, de Sicile, et de duc de Milan ; mais ces titres ne sont le plus souvent qu’une protestation, et il y avait loin de là à l’intention arrêtée de soutenir toutes ces prétentions par les armes.