546 HISTOIRE DE VENISE. étrangers do l’Italie. Mais avant de sunger à délivrer la Péninsule, il avait un objet plus pressant, celui d’agrandir le domaine du saint-siège. C’est ainsi que, dans la politique comme dans les affaires privées, les intérêts et les passions du moment font souvent négliger les intérêts de l’avenir. Les Vénitiens voyaient avec étonnement les sacrifices par lesquels le roi de France payait l’avantage de s’allier à la maison d’Autriche. Il aurait été difficile de deviner que le roi sacrifiât la Bretagne et la Bourgogne pour obtenir la permission de conquérir Bergame et Ilrescia. Cependant ils n’étaient pas sans inquiétude, surtout lorsqu’ils apprirent qu’il existait un traité secret, et que le pape, de qui ils n’étaient pas en droit d’attendre un bon office, y était intervenu. Leurs ambassadeurs à la cour de France faisaient tous leurs efforts pour pénétrer le mystère de ce traité; mais le cardinal d’Amboise n’épargnait ni les protestations, ni les serments pour les rassurer, leur répétant sans cesse que le roi tenait plus que jamais à conserver son alliance avec la république. Dans la vue de la tromper plus sûrement, l’empereur et le roi la firent exhorter par leurs ministres à donner satisfaction au pape sur l’objet de ses réclamations : mais la république, toujours respectueuse dans ses formes, resta inébranlable dans ses refus. Maximilien, que son inconstance naturelle jetait dans tous les projets, sans lui permettre d’en suivre aucun, ne se hâtait point de faire une conquête qu’il ambitionnait; il différait de donner à LouisXll l’investiture du duché de Milan, quoiqu’il l’eùt formellement promise, et que la cour de France lui en eût avancé le prix. Enfin, après avoir laissé expirer les délais fixés, il se détermina à recevoir l’hommage que le cardinal d’Amboise vint lui faire, au nom du roi, qui se reconnaissait son vassal, pour Milan et pour Gènes (1). XXV'. Mais pendant que ce ministre était encore à la cour de l’empereur, le roi tomba dangereusement malade, et cette circonstance arrêta encore Maximilien dans l’exécution de ses premiers projets. Tous ces délais avaient donné aux Vénitiens le temps de pénétrer le mystère du traité de Iilois. Ef- (1) i Le cardinal, comme procureur de Louis XII, jura par la vie et le salut de son roi ; aussi étoit-ce ce que le grand homme avoit de plus cher au monde. Prélat, dit l'histoire, avec un seul bénéfice, ministre sans avarice et même sans orgueil, et qui n’eut jamais pour objet que la gloire d’un prince qui ne la chcrchoit lui-même que dans la félicité de ses sujets. » (Dissertation sur l’ancienne forme des serments usités parmi les François, par l'abbé Vsrtot. Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. Il, frayés du danger qu’ils venaient de découvrir, ils n’eurent plus qu’une pensée, celle de désunir la ligue par des séductions ou des soumissions. Le pape, qui était le plus ardent promoteur de la guerre dont ils se voyaient menacés, exigeait toujours la restitution de tout ce qu’ils avaient acquis dans la Ro-magne, à la faveur de la dernière révolution. Lorsqu’on lui offrait une restitution partielle, il parlait de réclamer Ravenue et Cervia, qui n’avaient jamais été occupées par le duc de Valentinois, et quoique la république possédât la première de ces viIles depuis plus de soixante ans, et la seconde depuis deux siècles. Le pape convoitait surtout Bologne, qui était sous la domination de Jean Bentivoglio. Les Vénitiens offrirent de chasser ce prince de ses Étals, de conquérir Bologne pour le saint-siège, espérant qu’à ce prix Jules consentirait à leur laisser Faenza et Itimini. Cette offre fut rejetée. Cependant les lenteursde Maximilien firent craindre au pape de manquer une occasion favorable. Les circonstances pouvaient changer, les Vénitiens pouvaient revenir de leur frayeur. Jules consentit à se relâcher un peu de ses prétentions, et à leur laisser le territoire de Faenza et de Rimini; les autres places contestées lui furent remises. Ce pontife ambitieux ne s’en tint pas à ces importantes cessions : il entreprit des conquêtes, leva des troupes, se mit à leur tête , et s’empara de Pérouse et de Bologne, aidé, dans cette expédition, par quelques troupes du roi, qui étaient dans le Milanais. Ce secours était le prix delà pourpre romaine, que Jules avait promise à deux neveux du cardinal d’Amboise. La France tremblait pour la vie du roi, cl la reine faisait charger sur la Loire des bateaux qui emportaient toutes ses richesses en Bretagne. Dans ces instants, qu’il croyait les derniers de sa vie, Louis XII considérait avec amertume l’état où il laissait son royaume, et ledémembrement prochain de tant de provinces. La nation allait avoir à regretter la Bretagne, la Bourgogne, une partie de la Flandre, le comté de Iilois, et les possessions au delà des monts. Elle allait se trouver plus faible qu’avant Louis XI. Les chagrins du roi augmentaient l’ardeur de la fièvre qui ledévorait, et, dans ce p. CG7.) Ce n’est point l’histoire qui parle ainsi du cardinal d’Ainboise, ce sont les historiographes. La vérité veut qu’on ne lui conteste ni son mérite ni ses vertus; mais elle ne peut dissimuler ni son ambition ni ses richesses. Vertot le loue de n’avoir possédé qu’un bénéfice, parce qu’il le juge par comparaison avec le cardinal Brissonnel, son prédécesseur dans l’archevêché de llouen et dans le ministère, lequel avait retenu plusieurs évêchés à la fois.