livre IX. 147 leurs ennemis établis dans un port à l'entrée des Dardanelles, ne manquèrent pas d’encourager l’empereur dans son ressentiment. Tous les Vénitiens qui se trouvaient sur le territoire de l’empire furent arrêtés et leurs propriétés séquestrées; vingt-deux galères, fournies par les Génois, sortirent du port de Constantinople, et vinrent débarquer, au mois de novembre 1577, sur le rivage de Ténédos, une armée de Grecs que l’empereur commandait en personne. Vénier s’était, chargé de la défense de la place, et Zéno de disputer aux assaillants les ouvrages extérieurs. Dès le lendemain il y fut attaqué, mais il repoussa les Grecs avec une perte considérable. Dans ce premier combat il reçut une blessure à la cuisse, qui ne l’empêcha pas de rester sur le champ de bataille pendant toute la durée de l’action. Le jour d’après, les ennemis revinrent à la charge; Zéno soutint cet effort, encore plus terrible que le premier, avec la même intrépidité. Atteint une seconde et une troisième fois, il tomba baigné dans son sang: l’ardeur des Vénitiens redoubla à la vue de leur général étendu parmi les mourants : ils se précipitèrent sur les Grecs, les mirent en fuite, en firent un horrible carnage; et Andronic, obligé de se rembarquer et d’aller cacher sa honte dans Constantinople, laissa les Vénitiens maîtres paisibles de leur nouvelle conquête. Peu de mois après, Calojean parvint à s’échapper de sa prison, à l’aide de quelques Vénitiens, qui en avaient séduit les gardes, par les intrigues d’un moine. 11 se réfugia auprès du sultan, dont il acheta la protection, en lui remettant Philadelphie de Lydie, la seule ville qui restât à l’empire grec au delà du Bosphore. Andronic, hors d’état de résister aux ordres d’Amurat, fut obligé de céder la capitale à son père; les débris de l’empire romain furent encore divisés, et Calojean remonta sur le trône pour le partager avec Manuel, son second fils. XXVII. Cette révolution rétablit les affaires des Vénitiens dans l’Orient cl donna du désavantage aux Génois. Ceux-ci eurent alors une querelle à. soutenir dans la mer Noire. Ce fut une vengeance privée qui prit le caractère d’une guerre, et qui donne une idée de l’espèce de domination que leur nation exerçait dans celle mer. 11 y avait encore une petite cour à Trébizonde, où régnaient les Comnènes. Les Génois faisaient presque exclusivement le commerce de cette côte. Un de leurs citadins, nommé Mégallo Lercari, qui élail admis dans cette cour, prit dispute, en jouant aux échecs, avec un jeune Grec, à qui l’empereur accordait une faveur qui faisail mal juger des mœurs de l’un et de l’autre. Le favori insolent donna un soufflet au marchand étranger. Mégallo n’ayant pu obtenir la réparation de cette insulte, sortit du port, arma deux galères, courut sur tous les navires de Trébizonde, dévastant les côtes et faisant couper le nez et les oreilles à tous les Grecs qui tombaient entre ses mains. Des galères que l’empereur envoya contre lui ne purent le forcer à discontinuer ses ravages. Un jour trois Grecs tombés en son pouvoir allaient éprouver la mutilation qu’il faisait subir à tous ses prisonniers, lorsque l’un d’eux, qui élait le père des deux autres, se jeta à ses pieds et le supplia de se contenter de lui ôter la vie, mais d’épargner ses fils. Mégallo se laissa toucher et leur rendit la liberté, en leur ordonnant d’aller à Trébizonde, d’y porter à l’empereur un baril plein de nez et d’oreilles, et de lui signifier que le guerrier qui lui envoyait ce présent ne mettrait un terme à sa vengeance que lorsqu’on lui aurait remis le courtisan qui l’avait outragé. Telle était la terreur inspirée par le nom génois; telle était la faiblesse du prince de Trébizonde, qu’il s’embarqua pour aller lui-même livrer son favori, lequel vint, la corde au cou, se jeter aux pieds de Mégallo, et s’abandonner à sa discrétion. L’offensé lui mit son pied sur le visage, en lui disant : « Misérable, retire-toi et « rends graces aux mœurs des Génois, qui ne « sont pas dans l’usage de traiter cruellement les « femmes. » A Constantinople, les Génois de Péra repoussèrent, avec la même vigueur, les attaques de l’empereur, qui avait essayé de les forcer dans leurs retranchements. L’impossibilité reconnue de les déloger de ce poste détermina les Grecs et les Vénitiens de Constantinople à négocier avec eux une convention qui, de ce côté, fit cesser les hostilités; mais ailleurs des causes fortuites avaient exalté les haines nationales. La cérémonie du couronnement du nouveau roi de Chypre, qui succédait à Pierre de Lusignan, fut l’occasion d’une dispute de préséance entre les consuls de Gênes et de Venise. La contestation fut jugée par la cour en faveur du Vénitien. Les Génois irrités troublèrent le banquet royal par des provocations insolentes. Les vases du festin devinrent des armes qu’on se lança mutuellement; on en vint aux coups d’épée; il y eut quelques Génois jetés par les fenêtres du palais; l'indignation devint si universelle, que plusieurs furent massacrés dans i’ile : si on en croyait même les historiens de leur nation, on ajou-lerait qu’un seul Génois échappa à cette proscription générale. Peu de temps après, une (lotte génoise, de quarante galères, se présenta devant le port de Fama-gouste, annonçant qu’elle venait demander la réparation de l'outrage fait au consul delà république.