LIVRE XXII. 571 jetèrent dans une grosse tour, « où incontinent ils « furent assiégés, et bouta-t-on le feu au pied. La « pluspart se laissèrent brûler plutôt que de se ren-« dre, les autres sautoient par les créneaux et étoient « reçus sur la pointe des piques (1). » Les châteaux d’Este, Montagnana, Colonia, Citadella, Bassano, ouvrirent leurs portes à leurs libérateurs. Vicence lesappelait ; ils l’emportèrent en une heure, et l’empereur n’était pas encore arrivé à Trente, que déjà l’etigliano était sous les murs de Vérone, où cependant il ne put pénétrer. Presque toute l’Italie, malgré des sentiments très-divers, voyaitavec unœil decomplaisanceles succès des Vénitiens, que leurs malheurs avaient absous de l’envie qu’on leur portait auparavant. Ils voulurent profiter de l’éloignement de l’armée autrichienne, pour punir le duc de Ferrare, et ressaisir la Polé-sine de Rovigo. Tandis qu’une division de leur armée soumettait ou ravageait cette province, le commandant de la Hotte, Ange Trevisani, eut ordre d’entrer dans le Pô, de remonter ce fleuve jusque auprès de Ferrare, de passer l’armée sur la rive droite, et de seconder les opérations du siège de celte capitale. L’amiral eut beau représenter que cette enlreprise était très-hasardeuse, surtout en hiver; que la flotte pouvait être compromise; on n’écouta que l’envie de se venger du duc, et Trevisani partit avec dix-sept galères et un grand nombre d’autres bâtiments. Parvenu à Lago-Oscuro, c’est-à-dire à peu près à trois milles de Ferrare, il s’occupa de construire une tète de pont. L’armée vénitienne, déjà arrivée sur le rivage opposé, n’attendait que la construction du pont pour effectuer le passage. Les gens du duc de Ferrare vinrent attaquer les cedoutes, mais ils furent repoussés, et les marins travaillaient avec la plus grande activité à lier leurs bâtiments de transport, pour ouvrir un passage à l’armée. L’alarme était dans Ferrare; la population des campagnes accourait pour raconter que la flotte ennemie détruisait tout sur son passage; les villages ferrarais, les belles maisons de plaisance situées sur l’une et l’autre rive, étaient en cendres. Cette capitale, alors peuplée de quatre-vingt mille habitants, n’avait qu’une faible garnison. Les Français, appelés par le duc, y envoyèrent un détachement de cent cinquante gendarmes; mais ce secours aurait été vraisemblablement insuffisant, si on eût (1) Histoire du chevalier Eayard, chap. 40. « Nova venerunt quod capla fuit rex monlis silicis, occisi fuerunt omnes qui eranl intus, ad numerum qninque cenlum et nullus evasit. » (Lettre d'André de Burgo et du docteur de Mota à Marguerite d’Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, 1.1, p. 279.) (2) « Les Espagnols mesmes disent que puisqu’il ne sçait laissé le temps à l’armée vénitienne de passer sur la rive droite du Pô, et si les mouvements des ennemis, du côté de Vérone, ne l’eussent obligée de s’y porter. Dans la nuit du 20 au 21 décembre, on établit des batteries sur les digues qui commandaient le fleuve. Au point du jour, toute cette artillerie fit un feu terrible sur le pont et sur la flotte. Les troupes qui étaient déjà sur la rive droite ne purent parvenir jusqu’à ces batteries ; il n’y eut pas moyen d’y répondre avec les canons des galères, ni de rester à une si petite distance sous un feu si meurtrier. Deux galères et plusieurs autres bâtiments furent coulés bas par les premières volées. Deux ou trois coupèrent leurs câbles, et se hasardèrent à descendre le fleuve en essuyant le feu de toutes les batteries qui couvraient la côte. Le reste, criblé de coups, fut abandonné par les équipages, qui se sauvaient dans les chaloupes, ou se jetaient à la nage. Il périt plus de deux mille Vénitiens dans cette action. Trevisani chercha son salut dans un esquif, abandonnant sa capitane, qui coula bas à trois milles du lieu du combat, et laissant toute sa flotte au pouvoir de l’ennemi (1Ï509). 11 paya ce désastre par trois ans d’exil, et la république s’empressa d'armer une nouvelle flotte. Telle fut l’issue de la campagne de 1Î509, l’une des années les plus mémorables dans l’histoire de Venise. Celte époque fut celle de la mort du comte l’eligliano, à qui la république reconnaissante fit élever une statue équestre, avec cette inscription : « A Nicolas des Ursins, prince de l’etigliano, qui, « après avoir longlemp commandé, avec succès, les « armées de Sienne, de Florence, des papes, et du (t roi de Naples, fit de grandes choses pour la répu-« blique, dans un extrême péril, et lui conserva Paie doue, i) XVIII. Cependant l’empereur, honteux d’avoir échoué devant Padoue (2), et de s’être laissé enlever Vicence, ne rougissait pas d’offrir à Louis Xll de lui remettre les forts de Vérone, seule place qui lui restât, pour gage d’un prêt de cinquanleou soixante mille ducats (5). Quand le pape sut que le roi venait d’accéder à cette demande, il s’alarma, plus qu’il n’avait fait jusqu’alors, des progrès des Français en Italie, et se décida à recevoir les Vénitiens dans ses bonnes grâces. Une pénitence publique, l’obligation d’aller témoigner leur repentir dans sept églises, l’humiliation de recevoir, à genoux, l’absolution garder ce qu’on luy avoit mis entre les mains et ne sçait venir à bout d’avoir une ville telle que Padua, qu’ils n’ont pasgrant crainte de luy. » (Lettre de Mercurin de Gatriman, ambassadeur de l’empereur près de Louis Xll, à Marguerite d’Autriche. Recueildes lettres de Louis XII, 1.1, p. 192.) (3) Lettre d’André de Burgo, autre ambassadeur, à la mime princesse. (.Ibid., p. 230.)