LIVRE XXIII. 377 trouvèrent une vigoureuse résistance , et furent obligés de se retirer, lorsqu’ils apprirent que Chau-inont, débarrassé des Suisses, accourait au secours de celte place. La nouvelle coalition acquit vers ce temps-là un allié de plus. On se rappelle que le marquis de Manloue avait été fait prisonnier de guerre par les Vénitiens. 11 supportait sa captivité avec beaucoup d’impatience. Sa famille, après avoir épuisé tous les moyens d’obtenir sa liberté, imagina de s’adresser au grand-seigneur, avec qui ce prince avait eu quelques relations. Bajazet, dallé de faire montre de son crédit, ou plutôt de son autorité sur les Vénitiens, manda le baile de la république, et exigea de lui la promesse que le marquis serait mis en liberté. La seigneurie n’osa pas démentir la parole de son envoyé; mais, toujours habile à tirer parti des moindres circonstances, elle fit croire qu’elle accordait à l’intervention du pape ce qu’elle faisait en effet par déférence pour le sultan. Le prisonnier, se croyant redevable de sa liberté au souverain pontife, alla lui en exprimer sa reconnaissance, et Jules II l’engagea non-seulement à entrer dans la ligue, mais encore à prendre le commandement de l’armée de la république. Il est vrai qu’il ne montra d’ardeur que pour le quitter. Ce fut un allié très-inutile ; mais ce fut un ennemi de moins. Les premiers revers de la coalition ne firent rien perdre au pape de son courage. Ce prince avait de l’énergie, de grandes vues. C’en était une de vouloir délivrer l’Italie de la présence des étrangers : il aurait été le bienfaitêur de son pays, s’il se fut moins abandonné à l’emportement de ses passions. Il conquit un domaine à l’Eglise, et il aurait mérité d'étre cité parmi les grands papes, s’il eût possédé les vertus de son état. Il exigea des Vénitiens qu’ils renouvelassent avec leur flotte, renforcée de quelques-uns de ses bâtiments, leur tentative sur la côte de Gènes (1). Elle n’eut pas plus de succès que la première. L’escadre fut partout accueillie à coups de canon, ne put aborder nulle part, et, à son retour, fut dispersée par une tempête qui engloutit cinq galères dans la mer de Sicile. V. Après ce nouvel échec, le roi fit proposer à Jules un accommodement (2). 11 offrait même d’abandonner la cause du duc de Ferrare, car il consentait à remettre les droits de ce prince à la décision de commissaires que le pape nommerait ; mais (1) Lettre d’André de Burgo et du docteur de Mota à Marguerite d’Autriche. (Recueil des lettres de Louis XII, t. I, p. 275.) (2) « Cardinalis papiensis legatus Bononiæ misit litleras ex communicatorias capitaneo régis Francise nisi abstinent ab auxilio ducis Ferrariæ. Respondit quod suspendent nun- Jules ne voulut pas que son vassal eût d’autres juges que lui même, exigea que Louis XII remit les Génois en liberté, rejeta tous les projets de conciliation, fit arrêter l’ambassadeur de France et le fit mettre au château Saint-Ange : c’était imiter les procédés du grand-seigneur. 11 alla bien plus loin ; l’envoyé du duc de Savoie s’étant hasardé à proposer la médiation de son maître, le pape s’emporta contre lui jusqu’aux derniers excès de la fureur, le traita d’espion, et, s’autorisant d’une accusation échappée à sa colère, fit jeter ce ministre dans un cachot, et lui fit donner la question. Il lançait les excommunications contre le duc de Ferrare, contre les généraux français (3). Il appelait à grands cris dans le Ferrarais les troupes du roi de Naples, les armées et les flottes de Venise. Les siennes s’étaient déjà emparées de Modène, et, menaçant la capitale, avaient forcé le duc d'abandonner la l’olésine encore une fois. Il ne cessait de presser les opérations et d’ordonner à ses généraux de livrer bataille. On a droit de s’étonner qu’un roi de France et un empereur ne se vengeassent pas, par une guerre plus active, de la défection de cet ancien allié. Mais notre système de conduite est toujours subordonné à notre manière d’envisager les choses : or, cette guerre contre le pape était jugée fort diversement par Louis XU et par Maxitnilien. VI. A la première nouvelle de l’invasion du Ferrarais par les troupes du saint-siège, l’empereur avait envoyé un héraut, pour signifier à Jules la défense d’attaquer un prince qui était sous la protection de l’empire. C’était se montrer en roi ; il manquait à Maxitnilien de savoir agir. Louis XII, au contraire, qui, lorsqu’il n’était que prince du sang, n’avait pas craint de faire la guerre à son maître, partageant aujourd’hui les scrupules d’Anne de Bretagne, sa femme, ne croyait pas que le fils aîné de l’Église pût attaquer le pape, sans se rendre coupable de rébellion, et assemblait un concile pour savoir jusqu’à quel point la défense était légitime contre un tel ennemi. Peut-être aussi n'élait-ce qu’une concession qu’il faisait à l’esprit de son siècle , un moyen d’encourager sou peuple à cette guerre, ou d’attaquer le souverain pontife avec scs propres armes. Machiavel raconte qu’il se trouvait un jour chez le secrétaire-d’état llobertet lorsqu’on vint présenter à celui-ci un portrait du cardinal d’Amboise. cios ejus si amplius redibunt. » (Lettre d’André de Burgo et du docteur de Mota à Marguerite d'Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, t. 1, p. 282.) (3) Voyez le Mémoire des articles proposés de la part de Louis XII au pape. (Ibid. t. Il, p. 85.)