LIVRE XVII. 2ü7 nation du Seigneur 1463, le 8 des kalendes de novembre, et le 6e de notre pontificat. » Cette expédition , à la tête de laquelle voulait se mettre le chef de la chrétienté, cette flotte sur laquelle il invitait des princes à le suivre, consistait presque uniquement en galères vénitiennes; mais la piété des croisés en avait fait les frais. Le duc de Modène en avait armé deux, la ville de Bologne line, celle de I.ucques une, des cardinaux en avaient payé cinq. Quelques autres étaient armées par le pape. Des nobles vénitiens commandaient toutes ces galères, des matelots vénitiens les montaient. On voit que la république fournissait le personnel et le matériel de l’armement, elle n’était dispensée que de la dépense pécuniaire. Quant aux troupes de terre, le duc de Bourgogne avait promis de marcher en personne à la tête de son armée. On dit même qu’alin de se procurer des fonds, il avait remis au roi de France la province de Picardie, pour une somme de quatre cent mille écus. Le duc de Milan envoyait un corps de trois mille hommes de cavalerie, sous la conduite de l’un de scs fils. Mathias, roi de Hongrie, était déjà en guerre contre les Turcs. On comptait sur la coopération de la Bohème et de la Pologne. V. La lettre du pape surprit et alarma beaucoup le doge. C’était un vieillard qui n’avait plus de passion que l’avarice, et qu’un moine maîtrisait. Quand il entendit lire le bref dans le conseil, il se récria sur son grand âge, sur l’inutilité de sa présence à la guerre ; mais le conseil, qui voulait donner de l’éclat à cette expédition, n’en décida pas moins que le doge en ferait partie, et qu’il y serait accompagné de quelques conseillers,-les autres devant rester à Venise pour pourvoir à l’administration de l’État. Christophe Moro insistait vivement pour être dispensé de faire cette campagne. « Sérénissime « prince, lui dit Victor Capello, l’un des conseil-« 1ers, si votre sérénité refuse de partir de bonne « grâce, nous saurons l’y contraindre, parce que le bien et l’honneur de la patrie nous sont plus chers « que votre personne. » Le doge ne répliqua point, et demanda, pour toute faveur, que le commandement de l’armée navale fût donné à un de ses parents, ce qui fut agréé. Pendant qu’on s’occupait des préparatifs de cette guerre, les Vénitiens ne craignirent pas de s’en attirer une autre. Ils avaient été autrefois maîtres de Trieste; cette ville, depuis qu’elle avait passé sous la domination de Frédéric III, leur devait encore- H1ST0IRE DE VENISE. quelque tribut. Elle s’était même engagée à se pourvoir de sel sur leur territoire. Mais bien loin de remplir ces obligations, elle comptait assez sur la protection de l’empereur, pour oser se montrer jalouse des privilèges que les Vénitiens s’étaierit arrogés sur l’Adriatique. Elle éleva ses prétentions jusqu’à vouloir être l’entrepôt nécessaire de tout le commerce du golfe avec l’Allemagne. Venise, à son tour, serait devenue tributaire des Triestains. Il n’en fallait pas tant pour encourir le ressentiment de la république. Un petit corps d’armée fut envoyé sur-le-champ pour attaquer Trieste, mais la place se montra disposée à se défendre; les troupes de l’empereur eurent le temps d’arriver, et la guerre allait devenir sérieuse, si le pape ne se fût hâté d’accommoder le différent. Ce traité, qui fut conclu le 17 décembre 1463, n’est pas d’une grande importance, puisqu’il ne porte que la cession de trois petites communcsà la république; mais on y remarque 1° que les Triestains furent obligés de continuer le paiement de l'ancien cens à l’église de Saint-Marc et au doge ; 2° qu’il leur fut interdit de vendre du sel, et d’en transporter sur leurs vaisseaux, sous peine de la vie ; 3° qu’ils promirent de rendre les esclaves transfuges appartenant aux Vénitiens. La flotte destinée à l’expédition delà croisade fut prête à la fin du printemps. Les neuf galères armées par les princes ou les cardinaux étaient déjà dans le port d’Ancône. La république en avait armé dix; c’était donc une flotte de dix-neuf galères, qui devait aller se joindre à trente-deux autres, qui étaient déjà dans les ports de la Grèce (1464). Les Turcs étaient sortis du détroit peu de temps auparavant, avec quarante-cinq galères et cent bâtiments de transport. Le pape était déjà rendu à Ancóne, mais le duc de Bourgogne ne se mettait point en mouvement. Enfin, le 30 juillet 1464, après avoir consulté les astrologues, afin de choisir l’heure du départ pour cette pieuse expédition, le doge se mit en mer, à son grand regret. En arrivant à Ancóne, où il fut reçu au bruit de toute l’artillerie de la place et des vaisseaux, il apprit que le pape venait de tomber malade, qu'il était en danger, et en effet on annonça sa mort le lendemain. Une goutte remontée empêcha ce pontife de faire un voyage peu convenable à sa dignité, et où sa présence, quoi qu’il pùt en dire, n'aurait été d'aucun secours contre des ennemis tels que les Turcs. Le doge se fit mettre à terre, monta à cheval, précédé de deux cardinaux et suivi de deux autres, alla voir le corps du pape, et entra dans le consistoire des cardinaux, où il prit place au dessous du doyen. Cette assemblée était bien éloignée de partager 17