270 HISTOIRE DE VENISE. pitainc-général de la ligue, le comte d’Imola, et plusieurs autres princes ou seigneurs. 11 n’y avait pas lieu de compter sur la coopération de tous ces États, mais sur leur neutralité : ainsi, dans l’intervalle du mois de décembre au mois d’avril, la politique des Vénitiens sut changer la face des choses, et la république se trouva à la tôle d’une ligue, au lieu d’avoir à combattre seule toutes les principales puissances de l’Italie. 111. Mais cette ligue, qui garantissait la sûreté des Vénitiens, ne satisfaisait pas leur haine. La guerre n’était pas déclarée, et dans leur impatience de susciter un ennemi au roi Ferdinand, ils intriguèrent à Constantinople, pour persuader au grand-seigneur de venir attaquer les côtes du royaume de Naples. C’était une singularité politique assez remarquable, que de voir les chefs d’une ligue dans laquelle était le pape, solliciter les Turcs de s’armer contre un prince chrétien et les appeler en Italie. Sébastien Gritti, envoyé de Venise, exposa au sultan, que les principales villes de la Pouille et de la Ca-labre étaient d’anciennes colonies grecques ; qu’elles avaient depuis appartenu à l’empire d’Orient; que par conséquent il avait droit de les réclamer, puisqu’il était maître de la Grèce et de cet empire. Ces raisons devaient paraître très-suffisantes à ce prince; il envoya une Hotte de soixante-dix voiles, avec des troupes de débarquement, qui prirent terre dans la l’ouille et mirent le siège devant Otrantc (1480). La (lotte vénitienne, partie de Corfou, suivit de loin la flotte turque, et attesta par son inaction la connivence de la république. Otrantc fut emportée le 20 juillet, après un siège de quelques jours; douze mille soldats ou habitants furent égorgés; le gouverneur, l’évêque, furent sciés par le milieu du corps, et les Turcs se disposaient à se porter sur Tárente. C’était assurément une diversion aussi vigoureuse que les Vénitiens pouvaient la souhaiter. Toute l’Italie se leva aux cris du roi de Naples. On réclama les secours de la seigneurie contre une agression dont on était loin de la croire complice: mais elle répondit froidement qu’elle avait eu une longue guerre à soutenir contre les Turcs, sans qu’aucune puissance fût venue à son secours, dans les dangers pressants où elle s’était trouvée; qu’elle avait été assez heureuse pour en sortir avec gloire et pour conclure la paix avec les Ottomans; qu'elle ne pouvait pas violer un traité qui faisait sa sûreté, et qu’elle mettait son honneur à garder religieusement scs promesses. Les Vénitiens étaient capables de laisser dévaster tout le royaume de Naples, et Ferdinand aurait été probablement écrasé, si une attaque du roi de Perse n’eût obligé Mahomet II de rappeler son armée, et si la mort de ce sultan, qui survint le 7 mai 1481, n’eût délivré l’Italie de ce formidable ennemi. L’armée turque partie, on s’occupa d’assiéger la garnison qu’elle avait laissée dans Otrantc. Le pape, les Génois et l’Espagne fournirent des secours aux Napolitains. Les Vénitiens observèrent ce qu’ils appelaient leur neutralité. La nouvelle de la mort de Mahomet détermina le pacha à rendre la place; il capitula pour en sortir avec tous les honneurs de la guerre: on fournit aux Turcs dix vaisseaux de transport pour s’en retourner; mais,-dès qu’ils furent embarqués, on les attaqua avec des galères, et tout ce qui ne fut pas massacré fut mis à la chaîne. IV. Le roi de Naples était devenu l’ennemi irréconciliable d’une république qui avait été au moins la spectatrice indifférente de son désastre, et qui attirait en Italie un héritier de la maison d’Anjou. Ferdinand ne se borna pas à intriguer, -comme on l’a vu, contre les Vénitiens dans le royaume de Chypre; il chercha à leur susciter une guerre en Italie (1481). 11 était beau-père du duc de Fcrrare; ce prince, dont les États se trouvaient limitrophes des possessions de la seigneurie, avait, il est vrai, reçu plusieurs services importants de la république, mais il vivait sous des lois assez dures, qui lui avaient été imposées par les précédents traités. Ses sujets ne pouvaient faire du sel dans leur propre territoire, et étaient obligés d’en acheter à Venise. Les Vénitiens jouissaient dans le pays de Ferrarc de grands privilèges,entreautres de n’y reconnaître pour juge que levidame, ou consul de leur nation, même dans leurs contestations avec les habitants du pays. Le roi de Naples sollicitait son gendre de secouer un joug aussi humiliant. Ce duc, assuré d’un secours si considérable, lit commencer quelques travaux dans ses anciennes salines et voulut lever quelques droits sur le commerce des Vénitiens. Ces entreprises excitèrent des plaintes, dans lesquelles la république ne ménagea pas l’amour-propre de son voisin. Pendant qu’on échangeait des notes rédigées avec beaucoup d’aigreur, le consul de Venise eut occasion de citer devant lui un prêtre ferrarais, contre lequel un marchand vénitien réclamait une somme. Le prêtre ne comparut point. Le consul le condamna, et la sentence ne put être exécutée, parce que l’officialité, c’est-à-dire le tribunal ecclésiastique de Ferrarc, évoqua la cause, attendu la qualité du défendeur, sur lequel un juge étranger ne pouvait avoir de juridiction, puisque les juges du pays eux-mêmes n’en avaient pas. Le vidame, sans tenir compte de cette opposition, fit arrêter le débiteur; et l’official, usant de représailles, lança l’excommunication contre cet étranger, pour avoir attenté à la liberté d’un prêtre.