LIVRE VII. 107 LIVRE VIL CONJURATION DE MARIN BOCCONIO. — AFFAIRES DE FERRARE.— LA RÉPUBLIQUE USUUPE CETTE VILLE. — EXCOMMUNICATION DES VÉNITIENS. — 1302-1309. — CONJURATION DE TBIÉPOLO. — ÉTABLISSEMENT DU CONSEIL DES DIX. — 1509. I. On ne peut reconnaître dans la société qu’un homme ou plusieurs aient, par le seul acte de leur volonté, le droit de se déclarer les maîtres des autres. On ne peut exiger que les autres souffrent qu’on donne à leur résistance le titre de rébellion. Quels que soient les raisonnements , les succès, les bons effets même, qui justifient une usurpation, elle ne change pas de nature; elle est vicieuse dans son origine. Il ne peut y avoir de légitime dans la société, que ce qui se fait pour elle et de son aveu. Abuser de sa force, c’est donner aux autres la tentation et le droit d’essayer la leur; se livrer à sa passion, c’est provoquer les passions contraires. Telle était la situation où la réforme du grand-conseil venait de placer le nouveau gouvernement et la population de Venise. Les plus imprudents furent ceux qui les premiers laissèrent éclater leurs ressentiments. Les nobles, rejetés dans la classe des sujets, cherchaient à se mettre en état de revendiquer leurs droits; et comme , dans ces changements, ils ne trouvaient à reprendre que le hasard qui les avait exclus de l’autorité, ils n’attendaient pour reconnaître la légitimité du pouvoir actuel que d’ètre admis à le partager. Gradenigo sentit qu’il importait de ne pas leur interdire l’espérance; il savait que, tant qu'il reste des voies faciles pour parvenir à ce qu’ils désirent, les plus ambitieux diffèrent l’emploi des moyens violents. On vit paraître un décret qui appelait dans le sein du grand-conseil quelques-uns des principaux personnages qui ne s’étaient pas trouvés en faire partie au moment de la réforme; il n’en fallut pas davantage pour faire entrevoir à tous les autres ce qu'ils pouvaient attendre de la soumis- sion. Mais les familles non nobles, c’est-à-dire celles qui n’avaient pas eu entrée dans le grand-conseil, ne pouvaient rien espérer ; et bien loin de se croire, par l’élévation de quelques citadins, dédommagées de la condition humiliante où elles étaient réduites, elles ne virent dans ces roturiers devenus souverains que les plus odieux de leurs tyrans. I’our calmer le ressentiment des populaires, 011 leur accorda quelques privilèges. Le doge voulut même se ménager dans le bas peuple qui ne prétend jamais à l’exercice du pouvoir, un appui contre la classe des citoyens; il oublia sa hauteur jusqu’à donner un banquet aux pécheurs et à les embrasser. Les familiarités des grands sont rarement sans conséquence. Cette cajolerie devint un usage; et depuis, le prince de la république se vit assujetti à recevoir à jour marqué les pécheurs à sa table, et à se laisser baiser sur la joue par chacun d’eux. II. Il y a toujours dans les grandes villes des hommes que la hardiesse, si ce n’est l’élévation de leur caractère, porle à se déclarer les censeurs amers de tous les abus de l'autorité. La véhémence de leurs discours leur concilie facilement la faveur populaire, parce que, de toutes les manières de faire parade de son courage, la plus commune est d’applaudir à des invectives. Un homme existait alors à Venise qui s’était fait le défenseur des griefs du peuple contre les grands. Son nom était Marin Boc-conio; son origine n’était point patricienne, mais il ne venait pas de bas lieu , et ce n’est point un médiocre avantage, dans un chef de parti comme dans la vie privée, d'être également au dessus du mépris et au dessous de l’envie. Il avait éclate en plaintes, lorsque, sans égard