LIVRE XIX. 283 tous les sujets de la république qui se trouvaient dans ses États, les prisons ne purent suffire à les contenir; il fallut en remplir les églises et les monastères. La difficulté de protéger leurs établissements en Asie, la jalousie des Génois, et les révolutions de l’empire d’Orient, obligèrent vingt fois les Vénitiens à chercher de nouvelles routes, pour rétablir leurs relations commerciales sans cesse interrompues. V. C’est une chose digne de l’allenlion de l’histoire, que les vicissitudes qui ont fait changer si souvent le cours du commerce, qui, comme un fleuve, porte sans cesse vers POccident, mais toujours par des routes différentes, les productions de l’Asie. Il semblerait que l’Europe ne peut se suffire à elle-même. L’activité de ses habitants se fatigue de mille travaux qui produisent dés besoins étrangers à leur bien-être ; de tout temps ils comptèrent au nombre des objets de première nécessité les marchandises de l’Orient, et toujours ce commerce a occupé l’industrie de quelques peuples plus ou moins heureusement placés. Tantôt les Phéniciens recevaient ces productions par l’Euphrate ou par la mer Rouge, et les répandaient sur les côtes de l’Europe par la Méditerranée. Tantôt les Assyriens, les Chaldéens, communiquaient avec l’intérieur de l’Asie par la Bactriane: les marchandises de l’Inde remontaient l’indus, faisaient un trajet de quelques journées sur des chameaux; on les embarquait ensuite sur l’Oxus, qui les portait dans la mer Caspienne. L’Égypte, sous les Plolémées et sous les Romains, rappela le commerce sur la mer Bouge(l). Dans les temps postérieurs, la translation du siège de l’empire à Byzance fit sentir l’avantage d’une ligne plus directe. Les marchandises traversèrent le lac Aral ou descendirent par l’Oxus dans la mer Caspienne. De cette mer elles entrèrent dans le Volga, qui s’y jette, le remontèrent jusqu’à l’endroit où il s’approche à dix-huit milles du Tanaïs. La main des hom- ' mes avait même tenté de creuser un canal de communication entre ces deux fleuves. Arrivées dans le Tanaïs, les productions de l’Asie descendaient avec lui dans les Palus-Méolides, traversaient la mer Noire et venaient remplir les magasins de Constantinople, alors la ville la plus florissante de l’univers. (1) a I,e commerce de l’Inde se faisait anciennement par la mer Rouge. Les marchandises étaient débarquées à Bérénice, et transportées à dos de chameau, pendant 80 lieues, jusqu’à Thèbes; ou bien elles remontaient par eau de Bérénice à Cosseir, ce qui augmentait la navigation de 80 lieues, mais réduisait le portage à 50. Parvenues à Thèbes, elles étaient embarquées sur le Nil, pour être ensuite répandues dans toute l’Europe. Telle a été la casse de la grande prospérité de Thèbes aux cent portes, bes marchandises re- Un roi d’Arménie imagina d’abréger ce trajet, eu évitant la navigation du Volga, du Tanaïs et des Palus-Méolides : il établit une communication directe entre le Cyrus, qiii se jette dans la mer Caspienne, et le Phase, qui court vers l’extrémité du I’ont-Euxin. Le trajet par terre n’était que de quinze lieues. Cent vingt ponts furent jetés entre les montagnes pour rendre cette route praticable au commerce, et attestent encore la grandeur, l’utilité et les difficultés de l’entreprise. Tant que le commerce suivait cette voie, il enrichissait les villes maritimes de la mer Noire, Caffa, Trébizonde, Sinopc, Byzance. L’avidité des Tarla-res vint multiplier les dangers sur cette route; ils détournèrent vers le lac Aral, le Gihon et le Silion, deux fleuves qui se déchargeaient dans la mer Caspienne, et détruisirent ainsi une des communications de l’Inde avec l’Europe. L’industrie des Sarrasins rouvrit la communication delà mer Rouge. L’Égypte, Alexandrie et tous les ports de la Syrie devinrent les entrepôts des marchandises de l’Orient. Ainsi les productions de l’Asie arrivaient tour à tour en Europe par l’embouchure du Nil ou par celle du Tanaïs; mais, soit qu'il fallût aller les acheter en Égypte ou dans ia Chersonnèse,Ics Vénitiens furent toujours des premiers à se présenter pour en approvisionner l’Occident. Le commerce réalisait ce que la poésie avait autrefois imaginé : le Nil, le Phase, le Caïque, l’IIypanis, communiquaient avec l’Eridan et devenaient scs tributaires. VI. Les Vénitiens avaient des comptoirs sur toutes les côtes, à Alexandrie, à Tyr, à Bérythe, à Ptolémaïs, et sur tous les points intermédiaires, depuis l’embouchure du Tanaïs jusqu’en Italie ; ils pénétrèrent même jusqu’à Astracan. L’importance de ce commerce leur donnait un grand intérêt de cultiver soigneusement la bienveillance des empereurs d’Orient. A la faveur de quelques formules de soumission envers l’empire, ils y jouirent longtemps des avantages de l’indi-génat, et ils s’en prévalurent pour écarter les autres Européens, jusqu’à ce que la rivalité de Gênes vint les brouiller eux-mêmes avec les empereurs de Constantinople, brouilleries qui furent suivies de l’entière destruction de l’empire grec. montaient aussi au delà de Cosseir jusqu’à Suez, d’où on les transportait à dos de chameau jusqu’à Memphis et Peluse, c’est-à-dire, l’espace de 30 lieues. Du temps de Ptolémée, le canal de Suez au Nil fut ouvert; dès lors plus de portage pour les marchandises, elles arrivaient par eau à fiabousl et Peluse sur les bords du Nil et de la Méditerranée. » (Mémoires pour servir à l’histoire de France sous Napoléon, écrits par le général Goükgaud , t. 11 -, p. 210.)