LIVRE XVI. tait qu’une vaine cérémonie, qui n’ajoutait rien à la légitimité ni à la puissance des empereurs. Il y avait à Monza une autre couronne, qu’il lui importait bien plus de mettre sur sa tête : c’était la couronne de fer des rois lombards, le signe de la suzeraineté dévolue aux empereurs sur toute l’Italie septentrionale. Sforce, alors duc de Milan malgré Frédéric, tâcha de saisir cette occasion pour se réconcilier avec lui. Il le lit prier de venir aussi à Milan, pour y prendre la couronne de fer. Frédéric refusa, aimant mieux manifester son ressentiment contre Sforce, que confirmer, par ce nouvel acte, les droits de sa propre suzeraineté. Le gouvernement de Venise reçut cet hôte illustre avec tout le respect et tous les honneurs qui lui étaient dus. L’empereur était sur son trône lorsqu’il admit la seigneurie. Il avait à sa droite le roi de Hongrie, son neveu, et le duc d’Autriche, son frère. Le doge prit place à sa gauche. On offrit des présents à l’auguste voyageur, selon l’usage, et les Vénitiens voulurent, dans cette occasion, faire montre de la perfection où leurs manufactures étaient déjà parvenues. Parmi les objets offerts à l’empereur, on avait étalé un superbe buffet de cristal, ouvrage de la manufacture établie à Murano, à un quart de lieue de Venise, qui était, depuis deux siècles, en possession de fournir des glaces à toute l’Europe. Frédéric fit un signe à son fou, qui renversa la table où ce beau service était étalé, et l’empereur crut dire un bon mot, en ajoutant que, si le buffet eut été d’or, il ne se serait pas brisé. A son retour, on eut soin de lui offrir des présents plus dignes de lui. Ces ouvrages de cristal, que l’on fabriquait à Murano, étaient l’admiration des nations moins industrieuses, et se vendaient un fort grand prix. L’historien Sanuto parle d’une fontaine de cristal ornée d’argent, que le duc de Milan acheta trois mille cinq cents ducats. Les Vénitiens excellaient déjà dans l’art de la mosaïque. Leur église de Saint-Marc en était couverte. Ils fabriquaient aussi de très-belles armes, dont l’exportation n’était cependant permise que sous l’approbation du gouvernement. Vers cette époque, l’Italie fut affranchie d’un tribut qu’elle avait payé jusques alors aux pays occupés par les Turcs, pour l’exportation de ce sel, connu sous le nom d’alun, qui est un objet de commerce important par le grand usage qu’on en fait dans les arts, principalement dans la teinture. On commença à l’extraire d’une montagne près de Voltera. en Toscane. Cette découverte fut due à un Génois. XXII. Ce fut sous le règne de François Foscari que la plupart des puits publics, destinés à tenir Venise approvisionnée d'eau douce, furent recon- struits. La principale porte du palais ducal fut revêtue de marbre. Quelques autres édifices, qui datent de la même époque, attestent la magnificence et le goût du temps. Le plus utile fut le lazaret établi dans une ile peu distante de Venise, avec-toutes les dépendances nécessaires à son importante destination. L’architecture était dès lors fort en honneur à Venise. Les ponts qui traversent les divers canaux, et qui jusque-là avaient été de bois, furent construits en marbre. On peut voir dans le récit que Philippe de Commines a fait de son ambassade de Venise, combien il fut émerveillé du grand canal, qui est « la plus belle rue qui soit en tout le monde, « et la mieux maisonnée. Les maisons, dit-il, sont « fort grandes et hautes et en bonnes pierres, et les « anciennes toutes peintes; les autres, faites depuis « cent ans, ont toutes le devant de marbre blanc, et « encore ont maintes pièces de porphyre et de ser-« pentine sur le devant. C’est la plus triomphante h cité que j’aie jamais vue. » La construction du palais ducal et de plusieurs belles églises avait attiré ou faiL naître des artistes dans tous les genres. Gen-tile et Jean Uellino décoraient ce palais de leurs peintures. Mahomet II rendit une espèce d’hoin-mage à la république, lorsqu’il fit venir à sa cour le premier de ces peintres, qu’il combla de riches présents. On voit que les Vénitiens excellaient déjà dans plusieurs arts. Ce siècle en vit naître un d’une tout autre importance, celui de l’imprimerie. Les Vénitiens n’en furent point les inventeurs, mais ils ne tardèrent pas à s’y distinguer, et cet art devint bientôt pour eux une nouvelle source de gloire et de richesses. Il n’y avait guère qu’une douzaine d’annéesqu’on avait découvert le moyen d’imprimer des livres avec des caractères mobiles, lorsqu’ils attirèrent dans leur ville Wendelin de Spire, qui publia ses premières éditions en 1469. Jean de Cologne et Nicolas Janson vinrent, dans le même temps, former dans cette capitale des établissements qui furent encouragés par un privilège. On vit sortir des presses vénitiennes Cicéron, César, Tacite, Quinte-Curce, Plaute, Virgile, Pline, Plutarque et quelques auteurs moins considérables. Ces premières éditions étaient déjà très-belles. Vingt ans après, le célèbre Aide Manuce commença ses grands travaux, expliqua Homère et Horace, et fut la tige de plusieurs générations d’imprimeurs savants. Ces hommes habiles perfectionnèrent les procédés de leur art, et formèrent plusieurs établissements également utiles aux lettres et au commerce. Venise eut l'honneur d’ètre la première ville de l'Italie d'où sortirent des livres imprimés.