LIVRE XVI. 211 d’Anjou réclamait le trône de Naples ; la branche d'Orléans prétendait au duché de Milan. Leurs compétiteurs, Alphonse d’Arragon et Sforce, étaient déjà en possession de ces deux Étals, et ils se faisaient la guerre l’un à l’autre (1435). Les attaquer tous les deux à la fois, c’eût été peut-être trop entreprendre. Ne faire la guerre qu’à l’un des deux, c’était devenir l’allié de l’autre et faciliter ses succès. Il ne s’agissait donc que de savoir à qui le roi de France déclarerait la guerre ; or, il attachait beaucoup plusd’importance à la couronne de Naples qu’à celle de Milan. Les Florentins et Sforce promirent d’aider les Français à chasser Alphonse d’Arragon du continent de l’Italie. Florence offrit un subside de cent vingt mille éeus, dont le roi de France avait grand besoin, et René d’Anjou passa les Alpes. C’étaient les Vénitiens qui, les premiers, avaient eu l’idée d’appeler ce prince pour l’opposer à Alphonse d’Arragon, dont l’ambition menaçait toute l’Italie. Ils avaient envoyé, pour cet effet, une ambassade à Florence; mais les esprits n’étaient pas encore disposés à une entreprise aussi hasardeuse que celle d’attirer les Français en deçà des monts. l’Ius tard, ce furent les Florentins qui sollicitèrent les Vénitiens d’entrer dans cette ligue; ceux-ci s’étaient ravisés, et, sans s’y refuser formellement, ils éludèrent, sous divers prétextes, la conclusion du traité. Ainsi René d’Anjou passa los Alpes sans leur aveu. Son arrivée eut d’abord cet effet salutaire, qu’elle obligea le duc de Savoie et le marquis de Montferrat à rester neutres, au lieu de menacer la frontière occidentale du Milanais. Cette petite armée se joignit à celle de Sforce, vers le milieu d’octobre, sur la rive gauche de l’Oglio, et quelques jours après on entreprit le siège de Ponte-Vico. Les deux nations avaient une telle impatience de signaler leur valeur aux yeux l’une de l’autre, que l'assaut fut livré à la place avant que Sforce en eût donné le signal. Quelques corps de l’armée milanaise avaient commencé l’attaque, Sforce n’hésita pas à les faire soutenir ; mais les Français s’avisèrent de réclamer l’honneur de monter les premiers à l’assaut. Il n’y avait pas moyen de rappeler des troupes déjà lancées. Celle singulière dispute commença à occasionner quelque mésintelligence. Les gendarmes de René d’Anjou mirent pied à terre, s’avancèrent vers la muraille, et choisirent précisément l’endroit où elle était le moins accessible. Ils y perdirent beaucoup de monde et de temps. Enfin les Italiens pénétrèrent d’un autre côté, la ville fut emportée, et les premiers venus se mirent à la piller. Lorsque les Français arrivèrent à leur tour dans la place, le dépit d'avoir été prévenus changea leur HISTOIRE DE VENISE. valeur en cruauté. Ils fondirent sur la garnison, sur les habitants; et ceux-ci s’étant réfugiés sous la protection des troupes milanaises, le combat devint général. Alors les Français ne voyant plus que des ennemis dans tous ces Italiens qui se présentaient devant eux, attaquèrent les uns comme les autres. On se battit avec fureur, et, pendant cet effroyable désordre, le feu se déclara dans la ville. L’incendie et la présence de Sforce séparèrent enlin les combattants. C’élait débuter par un acte de cruauté et d’étour-derie. Le nom français fut en horreur dans toute la Lombardie; mais cet exemple terrible intimida tellement les villes occupées par les troupes de la république, qu’aucune n’osait plus s'exposer à être prise d’assaut. D’un autre côté , cet événement avait fait éclater la mésintelligence, non-seulement entre les soldats français et les milanais, mais même entre leurs chefs. René d’Anjou quitta l’armée de Sforce, et, sous prétexte d’aller prendre des quartiers d’hiver en Provence, repassa les Alpes avec son armée, oubliant qu’il élaitdescenducn Italie pour reconquérir le royaume de Naples. Il y a un historien qui raconte que, pendant qu’on était au fort de celte guerre, le gouvernement vénitien tenta deux fois de se délivrer du redoutable Sforce, par le fer et par le poison. De pareilles imputations ne peuvent être accueillies sans un mûr examen; mais aussi elles ne doivent point cire passées sous silence, quand elles ont été produites par un écrivain de quelque autorité; celui-ci était un contemporain, un homme d’Étal, Ncri Capponi, qui avait élé plusieurs fois ambassadeur de Florence à Venise. Il rapporte les détails du projet, la nature du poison, la somme promise par le conseil des Dix en récompense de ce crime. Cependant il faut considérer que cet auteurétait Florentin, et par conséquent suspect de partialité contre les Vénitiens; que son récit est peu vraisemblable, car il s’agissait de faire périr le duc en jetant dans son feu une drogue qui devait répandre une fumée mortelle; que l’historien de Sforce, son secrétaire, ne parle pas de ce fait, dont il aurait du être instruit, puisque, selon Capponi, le complot fut découvert1. Enlin j’aurai à citer d’autres circonstances où le gouvernement de la république repoussa des propositions semblables, qui lui étaient faites pour le délivrer de scs ennemis. C’en est assez sans doute pour ne pas admettre une si grave accusation sur un seul témoignage. XIII. Ce qui doit encore en faire douter, c’est que, d’après le récit de l’historien florentin, ce fait parait se rapporter à la fin de l’année 14155; or, dans ce même temps, la république était en négociation secrète avec le duc de Milan. Elle lui avait envoyé 10