100 HISTOIRE DE VENISE. leur de s’éloigner de la capitale quand la peste y régnerait. Cette même année Venise perdit le doge Michel Sténo, qui fut remplacé par Thomas Sloncenigo, alors en ambassade auprèsde l’empereur Sigismond. La mission de Thomas Moncenigo avait pour objet de mettre un terme aux désordres que produisait en Italie la querelle des papes, du roi de Naples et de Sigismond. Cet ambassadeur avait aussi été chargé de proposer à l’empereur de donner à la république l'investiture des principautés de Padoue, de Vicenceet de Vérone, ce qui prouve que la seigneurie ne se croyait pas un droit incontestable sur ces États. Cette proposition, qui pouvait Uatter la vanité de l’empereur, était en opposition avec sa politique. Il demanda que ces trois provinces fussent rendues à leurs anciens maîtres devenus ses protégés. Il persistait aussi à exiger que les Vénitiens, en gardant Zara, lui en fissent hommage. Il fallut se préparer à une nouvelle guerre (1414). Quelques règlements qui furent faits sous le règne de Sténo, ou pendant l’interrègne, méritent d’être rapportés. VIII.On se souvient que la conjuration deBoémont Thiépolo avait occasionné l’expulsion de beaucoup de patriciens qui y avaient pris part, notamment de plusieurs personnes de la maison Querini. Il avait été réglé depuis que, tant que la race de ces exilés ne serait pas éteinte, aucun des membres de leur famille, bien qu’étranger à la conspiration, ne serait éligible au conseil des Dix. On vérifia au commencement du xv° siècle qu’il ne restait plus aucun descendant des condamnés; en conséquence le droit d’éligibilité à ce conseil fut rendu à leurs parents. Lu autre décret régla que les avogadors ne pourraient plus faire arrêter un conseiller de la seigneurie, à moins que l’accusation ne portât sur un fait extraordinaire, et que, même dans ce cas, ils seraient obligés d’en référer à deux chefs du tribunal des quarante. On ajouta à ces dispositions que le doge ne pourrait appeler personne en justice ; que ses armoiries ne seraient placées ni sur les drapeaux, ni sur aucun navire, ni sur aucun édifice, excepté dans l’intérieur du palais ducal; que les avogadors pourraient le traduire en jugement devant le grand-conseil; que dans les conseils il ne pourrait jamais empêcher leurs conclusions, mais seulement les combattre; qu’enfin personne ne serait autorisé à tirer des archives de la république aucune pièce secrète. IX. Les gouvernements aristocratiques ne sont pas les moins susceptibles des séductions de la prospérité. Venise, depuis une vingtaine d'années, reculait tous les ans les bornes de ses domaines. Sans rivaux sur les mers, où les Génois ne pouvaient plus soutenir la concurrence, elle avait recouvré ou acquis d’imporlantcs colonies, et possédait plusieurs belles provinces sur le continent de l’Italie ; mais il fallait supporter les inconvénients inséparables de sa nouvelle condition. Victorieuse des petits princes, dont le voisinage l’avait si longtemps importunée, conquérante de leurs États, elle se trouvait en contact avec des puissances bien autrement redoutables, et il ne lui était plus permis de se dispenser de prendre part à leurs différends. Devenue vulnérable sur plus de points, elle avait plus de ménagements à garder. Une des acquisitions les plus désirables pour elle, était sûrement celle du port d’Ancône. Déjà maîtresse de Corfou, de Zara et des lagunes, si elle y eût joint Ancône, elle se serait trouvée en possession de tous les bons ports existants sur les deux rivages de l’Adriatique. Elle put faire cette acquisition et la faire gratuitement. Les Anconitains, sujets de l’Eglise, étaient assiégés et vivement pressés par le seigneur de Pezaro. Ils crurent trouver leur salut dans la protection do la république, arborèrent l’étendard de Saint-Marc, et envoyèrent des députés à Venise pour offrir de se donner à la seigneurie. Rien n’était plus séduisant qu’une pareille proposition. Le gouvernement vénitien avait montré plus d’une fois qu’il était toujours disposé à croire sincères les vœux des peuples qui se donnaient à lui ; mais dans cette circonstance il résista à la tentation, et ne voulut point avoir à compter de plus parmi ses ennemis le pape et le prince qui voulait conquérir cette ville. Au lieu d’accepter le titre de maîtres, les Vénitiens s’offrirent pour médiateurs et devinrent les arbitres désintéressés de ce différend. Celte conduite, qui n’était que circonspecte, eut tous les honneurs de la modération. X. Les soins qu’ils étaient obligés de donner aux affaires de l’Italie détournaient leur attention et leurs forces des établissements qu’ils avaient en Orient. Pendant ce temps-là, le Soudan deBabylone ruinait les comptoirs de la république à Damas; les Turcs mettaient à feu et à sang tout le plat pays de l’île de Négrepont ; Mahomet, leur nouvel empereur, armait une puissante flutle qui menaçait Candie, et, sans les divisions qui survinrent dans la famille ottomane, il n’est pas probable qu’on eut pu détourner le danger par la négociation. La paix qu’on eut le bonheur de conclure avec Mahomet, en 1415, fut rompue presque aussitôt par l’imprudence du duc d’Andros, qui ne cessait point de faire la course sur les Turcs. Ceux-ci ne distinguèrent point la république de son vassal, et se mirent à poursuivre tous les bâtiments appartenant aux Vénitiens.