288 HISTOIRE DE VENISE. le patrimoine, l’élément. Ils se rendirent utiles, bientôt nécessaires; ils obtinrent des privilèges, s’établirent en grand nombre dans le pays, envahirent toutes les professions lucratives, et montèrent toutes sortes de manufactures. La fabrication du camelot, par exemple, était un objet d’une grande importance pour les Arméniens; 011 y employait des poils de chèvres de Paphlagonie et d’Angora, dont l’exportation était sévèrement défendue. Non-seu-lement les Vénitiens fabriquèrent des camelots en Arménie, non-seulement ils exportèrent ces étoffes, après en avoir fourni tout le pays, mais encore ils obtinrent la faculté d’établir ces fabriques dans le leur, en faisant lever, pour eux seuls, la prohibition qui empêchait la sortie des matières premières. O11 peut juger de la prospérité de leur colonie dans cette contrée, par la nécessité où ils se virent de construire des maisons, des magasins, d’élever des églises, d’avoir des juges de leur nation, et enfin par la confiance que le gouvernement du pays leur témoigna, en les chargeant de la fabrication de sa monnaie. C’était en se multipliant par leur activité, en se montrant partout, en prévenant tous les besoins des autres peuples, que les Vénitiens les entretenaient dans une ignorance barbare, ou dans une voluptueuse oisiveté, et qu’ils devenaient le lien nécessaire de toutes les nations. Toutes les marchandises passaient par leurs mains ; et si parmi les objets d’échange il en était quelques-uns qui pussent acquérir une augmentation de valeur, en recevant une modification, Venise ne négligeait pas de se réserver le bénéfice de la main-d’œuvre. Ainsi, par exemple, tous les musulmans des côtes de la Méditerranée avaient besoin d’armes, et faisaient une grande consommation de meubles et d'ustensiles de bois plus ou moins soigneusement travaillés. Au lieu d’acheter ces objets chez d’autres nations, les Vénitiens eurent soin de les fabriquer eux-mêmes. Les noms des rues de Venise attestent que cette capitale, pendant le temps de sa splendeur, était un grand atelier, et le nombre des hommes que les diverses corporations de métiers mirent sous les armes, dans les dangers de la patrie, prouve l’immense quantité de bras que ces travaux occupaient. Ce soin de fabriquer eux-mêmes les objets manufacturés qu’ils devaient vendre, leur procura un autre avantage. En essayant les procédés des arts, ils les perfectionnèrent ; leurs manufactures acquirent bientôt une juste célébrité, et les Vénitiens devinrent les fournisseurs de ceux-là même qui leur avaient fourni les premiers modèles. XII. On se demande d’où on pouvait tirer assez d’hommes pour conduire tant de vaisseaux, soutenir tant de guerres sur terre et sur mer. contenir, administrer, exploiter de si grandes provinces et de si nombreuses colonies, élever des monuments, creuser des canaux, et monter tous les jours de nouveaux ateliers, qui exigeaient un grand nombre de bras. Au xve siècle, le seul arsenal de Venise occupait seize mille ouvriers et trente-six mille marins. Cependant cette capitale, unique source de la population véritablement vénitienne, n’avait guère que deux cent mille habitants. Mais la société ne se compose pas toujours d’éléments homogènes, et telle est la diversité des passions et des intérêts des hommes, qu’011 peut les employer à se comprimer les uns les autres, et que, par leurs travaux, ils procurent eux-mêmes de nouveaux moyens de puissance à celui qui les gouverne. Les Dalmates fournissaient des soldats à la métropole. Ces soldats gardaient et contenaient les colonies. Les îles fournissaient des matelots. Les matelots procuraient des richesses. Ces richesses servaient à soudoyer les compagnies de stipendiai-res qui conquéraient à la république des provinces sur le continent; et les stipendiaires, les milices provincialeset les marins s’employaient, à leur tour, à faire rentrer les Dalmates dans le devoir. Au milieu de celte réaction continuelle des diverses classes de la population l’une sur l’autre, toutes étaient plus ou moins attachées au gouvernement par les liens de l’intérêt. Un salaire très-avantageux attirait les soldats étrangers sous les drapeaux de Saint-Marc, et les meilleurs ouvriers dans les ateliers de Venise. Les glaces, les armes, les étoffes sortaient de ces ateliers pour aller payer toutes les marchandises de l’Europe et de l’Asie. Ces marchandises n’étaient pas seulement une source de richesses, c’étaient encore des moyens de puissance. Par exemple, parmi les objets que le commerce tirait de l’embouchure du Tanaïs, le poisson, les cuirs, les tapis, les épiceries, les perles, étaient la matière d’un bénéfice considérable; mais un objet d’une tout autre importance pour une nation adonnée à la navigation, c’était le chanvre. Ce chanvre devenait aussitôt dans les mains des Vénitiens un aliment de leur marine, et un moyen de paralyser à leur gré celle des autres nations. Ainsi le commerce vivifiait, agrandissait, consolidait Venise. Semblable à cette île fabuleuse do l’antiquité, dont elle nous explique l’allégorie, incertaine, flottante, mal affermie en sortant des flots, elle acquit de la stabilité dès qu’elle vit naître le dieu des arts. XIII. Quand 011 veut pénétrer dans les antiquités de l’histoire de Venise, pour y découvrir l’état de sa législation commerciale avant le treizième siècle, on ne trouve qu’incertitudes et obscurité. Le savant patricien Sandi avoue l’inutilité de scs rccher-