132 HISTOIRE DE VENISE. chassent à atténuer leur faute en nommant leur chef : on apprit avec étonnement que le doge était à la tête de la conjuration. Cette nuit même Bertuccio et Calendaro furent pendus devant les fenêtres du palais ; des gardes furent placés à toutes les issues de l’appartement du doge. Huit des conjurés, qui s’étaient échappés vers Chiozza, furent arrêtés, et exécutés après leur interrogatoire. XXVII. La journée du 18 fut employée à l’instruction du procès du doge. Le conseil des Dix, dont une pareille cause relevait si haut l’importance, demanda que vingt patriciens lui fussent adjoints pour le jugement d’un aussi grand coupable. Cette assemblée, qu’on nomma la Giunta, fit comparaître le doge, qui, revêtu des marques de sa dignité, vint, dans la nuit du 18 au 16 avril, subir son interrogatoire et sa confrontation. Il avoua tout (1388). Le 16, on procéda à son jugement; toutes les voix se réunirent pour son supplice. Le 17, à la pointe du jour, les portes du palais furent fermées; on amena Marin Palier au haut de l’escalier des Géants, où les doges reçoivent la couronne ; on lui ôta le bonnet ducal en présence du conseil des Dix. Un moment après, le chef de ce conseil parut sur le grand balcon du palais, tenant à la main une épée sanglante, et s’écria : Justice a été faite du traître. Les portes furent ouvertes, et le peuple, en se précipitant dans le palais, trouva la tête du prince roulant sur les degrés. Dans la salle du grand-conseil, où sont tous les portraits des doges, un cadre voilé d’un crêpe- fut mis à l’endroit que devait occuper celui-ci, avec cette inscription : Place de Marin Falier, décapité. Pendant quelque temps on continua les recherches contre ceux qui avaient trempé dans la conjuration. Il y en eut plus de quatre cents de condamnés à la mort, à la prison ou à l’exil. Le pelletier Bertrand réclamait la récompense qu’il croyait due à sa révélation ; il eut l’insolence de demander un palais et un comté que Marin Falier possédait, une pension de douze cents ducats, et enfin l’entrée du grand-conseil, c’est-à-dire le patriciat pour lui et sa postérité. De tout cela on ne lui accorda qu’une pension de mille ducats réversible à ses enfants, et il en témoigna si haut son mécontentement, qu’on fut obligé de l’exiler à son tour; mais telle était l’idée qu’on avait de cette nature de services, et telle était la politique du gouvernement pour les encourager, que le conseil fut sur le point d’admettre ce dénonciateur au nombre des patriciens.