LIVRE XIV. 21ï> Carmagnole en avait reconnu soigneusement toutes les parties fermes , tous les détours; il en occupait les issues et y avait multiplié les dangers. Sa cavalerie, son artillerie, s’étaient emparées des seuls points où ces deux armes pussent agir. Ses tirailleurs s’étaient postés sur tous les ilôts naturels ou artificiels qui coupaient cette plaine mouvante; et son infanterie, qui attendait l’ennemi à l’extrémité d’une longue chaussée, n’y semblait placée qu’avec circonspection : mais le général avait détaché deux mille chevaux , pour tourner les marais et attaquer l’ennemi par-derrière, quand il y serait engagé. Malatesta commandait à des hommes qui avaient plus de réputation que lui. Tenté de faire rapidement la sienne, il proposa et fit résoudre une attaque imprudente. Le 11 octobre, toute son armée s’aventura sur la chaussée qui conduisait au camp de Carmagnole ; dès qu’elle y fut avancée, elle se vit assaillie de toutes parts, sans pouvoir ni franchir les intervalles qui la séparaient des archers et des batteries, ni revenir en arrière , parce que sa colonne de bagages était déjà engagée dans le chemin. L’armée de Carmagnole choisit ce moment d’hésitation pour se présenter sur la chaussée et marcher avec résolution à la rencontre des Milanais : le détachement de deux mille chevaux tomba en même temps sur leur arrière-garde. Le combat ne fut point disputé. Les plus braves employèrent leur courage à se faire jour au travers des ennemis et des obstacles. Sforce et l'iccinino sauvèrent leur liberté ; mais Malatesta fut obligé de se rendre, et huit ou dix mille des siens restèrent prisonniers. La supériorité des forces était dès-lors acquise aux Vénitiens, au moins pour le reste de la campagne. Mais le soir, les vainqueurs, les vaincus, réunis dans le même camp, se reconnurent, s’embrassèrent , comme des compagnons qui avaient porté les armes ensemble, couru les mêmes aventures. Ils n’avaient les uns contre les autres aucun sentiment d’inimitié. Ils exerçaient tous la même profession sous des bannières différentes. Chacun retrouvait ses anciens officiers ou scs anciens soldats dans ses adversaires. Presque tous les gendarmes qui servaient le duc de Milan avaient combattu longtemps sous les ordres de Carmagnole. Cette confraternité d’armes, cette communauté de profession leur conseillait de ménager réciproquement leurs intérêts, sans s’embarrasser de l’intérêt des princes qui les soudoyaient. En conséquence, les vainqueurs gardèrent le butin, les chevaux, les armes, et renvoyèrent, pendant la nuit, presque tous leurs prisonniers. Le lendemain, les provéditeurs vénitiens qui étaient à la suite de l’armée en por- tèrent de vives plaintes à Carmagnole. Pour toute réponse il fit venir les prisonniers qui n’avaient pas encore été relâchés, et leur dit : « Mes soldats ont « rendu la liberté à vos compagnons ; je rougirais « d’ètre moins généreux : vous pouvez rejoindre vos « drapeaux » : et il les renvoya le jour même, avec leur général. Le gouvernement vénitien eut soin de ne témoigner aucun ressentiment de ce manque d’égards pour les représentations des provéditeurs, et d’une conduite si contraire aux intérêts de la république. Quelques jours après, l’armée milanaise se trouva presque aussi forte qu’avant la bataille. Ce ne fut plus qu’une affaire d’argent, de lui procurer des armes et des chevaux. Les provéditeurs désiraient que l’on profitât au moins de ce succès pour se porter sur Milan. On n’en était guère qu’à deux ou troisjournées. Carmagnole jugea celte marche imprudente. 11 pensa qu’on ne devait pas s’aventurer vers Milan sans être maître de Crémone; et en effet, pour être sur de sa retraite, il ne fallait pas laisser les ennemis établis dans un poste important sur la rive gauche de l’Àdda. 11 y avait encore, même sur l’Oglio , quelques postes fortifiés, dont il fallait s’emparer avant tout. Ce fut de ce côté qu’il dirigea sa marche. La prise de Montechiaro, d’Orci, de Pontoglio, et l’occupation de la Val Camonica, au nord du lac d’iséo, terminèrent la campagne de 1427. IX. Maîtres de toute la province de Brescia, les Vénitiens étaient à portée d’envahir sur tous les points celle de Bergamo. Ils y étaient même déjà en possession de quelques postes ; et au retour du printemps, dès le 8 mars 1428, leurs batteries menaçaient la capitale. Le duc de Milan avait employé l’iiiver à négocier. II commença par détacher de la ligue le roi d’Arragon, à qui il remit deux places sur la côte de Gênes, en attendant la cession de la Corse; et le duc de Savoie, à qui il céda Verceil Les autres alliés des Vénitiens, c’est-à-dire les Florentins, le marquis de Ferrare, le seigneur de Mantoue et le comte Pallavicino, sentaient qu’il n’y avait rien à gagner pour eux dans cette guerre, et par conséquent désiraient ardemment la paix; mais la république la mettait à si haut prix, qu’il était difficile de l'espérer. Elle demandait Crémone et Bergame, c’est-à-dire d’élendre ses limites le long duPò jusqu’à l’embouchure de l’Adda, etderemon-ter ensuite cette rivière jusqu’à l’endroit où elle sort du lac de Còme. Le duc ne voulait accorder que les cessions stipulées dans le traité de paix de l’année précédente. Le légat qui présidait aux conférences de Ferrare (car le pape s’était encore porté pour médiateur), fit de vains efforts pour persuader aux Vénitiens de se désister de leurs nouvelles dernan-